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La pierre et le sabre

La pierre et le sabre

Titel: La pierre et le sabre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eiji Yoshikawa
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les
nombreux étages du château.
     
    Il faisait toujours nuit noire au
sommet du donjon, où se trouvait la chambre hantée. Là-haut, le calendrier n’avait
pas cours : ni printemps, ni automne, ni sons de la vie quotidienne. Il n’y
avait qu’une petite lampe éclairant un Takezō pâle, aux joues creuses.
    Le chapitre sur la topographie de L’Art
de la guerre , de Sun-tzu, était ouvert devant lui, sur la table basse.
     
    Sun-tzu
dit : « Parmi les caractères topographiques,
    Il
y a ceux qui sont infranchissables.
    Il
y a ceux qui arrêtent.
    Il
y a ceux qui limitent.
    Il
y a ceux qui sont abrupts.
    Il
y a ceux qui sont lointains. »
     
    Chaque fois qu’il en arrivait à un
passage qui lui plaisait, comme celui-ci, il le lisait et le relisait à voix
haute ainsi qu’une psalmodie.
     
    Celui qui connaît l’art du guerrier n’est pas
maladroit dans ses mouvements. Il agit et ne se limite pas.
    C’est pourquoi Sun-tzu disait : « Celui qui
se connaît et connaît son ennemi l’emporte sans risque. Celui qui connaît le
ciel et la terre l’emporte sur tout. »
     
    Quand la fatigue lui troublait les
yeux, il les rinçait à l’eau fraîche d’un petit bol qu’il avait à côté de lui.
Si l’huile baissait et si la mèche de la lampe grésillait, il se bornait à l’éteindre.
Autour de la table s’élevait une montagne de livres, certains en japonais, d’autres
en chinois. Des livres sur le Zen, des volumes sur l’histoire du Japon.
    Takezō se trouvait pour ainsi
dire enfoui dans ces ouvrages d’érudition, tous empruntés à la collection du
seigneur Ikeda.
    En le condamnant à la réclusion,
Takuan avait dit :
    — Tu peux lire autant que tu
veux. Un prêtre fameux de jadis a dit un jour : « Je me plonge dans
les Ecritures, et lis des milliers de volumes. Lorsque j’en sors, je constate
que mon cœur y voit plus clair qu’avant. » Considère cette chambre comme
le ventre de ta mère, et prépare-toi à renaître. Si tu ne la regardes qu’avec
tes yeux, tu ne verras rien de plus qu’une cellule close, non éclairée. Mais
regarde encore, et de plus près. Regarde avec ton esprit, et réfléchis. Cette
chambre peut être la source de l’illumination, la fontaine de connaissance qu’ont
découverte et enrichie les sages d’autrefois. A toi de décider s’il doit s’agir
d’une chambre de ténèbres ou d’une chambre de lumière.
    Takezō avait depuis longtemps
cessé de compter les jours. Quand il faisait froid, c’était l’hiver ;
quand il faisait chaud, l’été. Il n’en savait guère davantage. L’atmosphère
demeurait la même, humide et renfermée ; sur la vie de Takezō, les
saisons restaient sans influence. Pourtant, il était presque certain que la
prochaine fois que les hirondelles viendraient nicher dans les meurtrières du
donjon, ce serait le printemps de sa troisième année dans ce ventre maternel.
    « J’aurai vingt et un ans »,
se disait-il. Pris de remords, il gémissait : « Et qu’ai-je fait de
ces vingt et un ans ? » Parfois, le souvenir de ses premières années,
implacable, le plongeait dans le chagrin. Il geignait et quelquefois sanglotait
comme un enfant. Ces tortures, qui duraient des journées entières, le laissaient
épuisé, le cœur déchiré.
    Enfin, un jour, il entendit les
hirondelles de retour aux auvents du donjon. Une fois encore, le printemps
avait franchi les mers.
    Peu de temps après, une voix qui
maintenant lui semblait étrange, presque pénible à entendre, demanda :
    — Tu vas bien, Takezō ?
    La tête familière de Takuan
apparut au sommet des marches. Sursautant, bien trop profondément ému pour
émettre un son, Takezō saisit le moine par la manche de son kimono et l’attira
dans la chambre. Pas une seule fois, les serviteurs qui apportaient sa
nourriture n’avaient prononcé la moindre parole. Il fut transporté de joie d’entendre
une autre voix humaine, et surtout celle-ci.
    — ... Je rentre de voyage,
dit Takuan. C’est ta troisième année ici, et j’en conclus qu’après une aussi
longue gestation tu dois être joliment bien formé.
    — Je te suis reconnaissant de
ta bonté, Takuan. Je comprends maintenant ce que tu as fait. Comment pourrai-je
jamais te remercier ?
    — Me remercier ? dit
Takuan, incrédule.
    Puis il éclata de rire.
    — ... Bien que tu n’aies eu
personne d’autre que toi-même avec qui faire la conversation, tu as appris à t’exprimer
comme un être

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