La pierre et le sabre
où ils allaient, mais une fois de
plus il se trouvait incapable de résister à cet homme-là. Il se demandait
pourquoi. Maintenant, il était libre, et il lui semblait qu’ils retournaient
tout droit vers l’arbre terrible de Miyamoto. Ou peut-être allaient-ils vers un
cachot de forteresse. Takezō les avait soupçonnés d’avoir emprisonné sa
sœur quelque part dans l’enceinte du château, mais sans la moindre preuve à l’appui.
Il espérait ne s’être pas trompé : si on l’y menait lui aussi, du moins
pourraient-ils mourir ensemble. S’ils devaient mourir, il ne voyait personne d’autre
qu’il aimât suffisamment pour partager ses derniers instants.
Le château de Himeji apparaissait
devant ses yeux. Il comprenait maintenant pourquoi on le nommait le « château
de la Grue blanche » : ce majestueux édifice se dressait sur d’énormes
remparts de pierre, comme un grand oiseau fier, descendu des cieux. Takuan
précéda Takezō sur le vaste pont qui enjambait le fossé externe. Devant le
portail de fer, une haie de gardes se tenaient au port d’armes. Leurs lances
qui étincelaient au soleil firent hésiter Takezō une fraction de seconde.
Takuan, sans même se retourner, le sentit et, d’un geste légèrement impatient,
lui enjoignit de poursuivre sa route. Ayant franchi la tourelle du portail, ils
s’approchèrent de la deuxième porte, où les soldats semblaient encore davantage
sur le qui-vive, prêts au combat d’une seconde à l’autre. C’était le château d’un
daimyō. Il faudrait à ses habitants quelque temps pour se détendre, pour
admettre le fait que le pays se trouvait heureusement unifié. Pareil à maints
autres châteaux de l’époque, il était loin de s’être habitué à ce luxe :
la paix.
Takuan convoqua le capitaine des
gardes.
— Je vous l’amène,
annonça-t-il.
En lui remettant Takezō, le
moine recommanda à l’homme de prendre bien soin de lui conformément à ses
instructions précédentes, mais ajouta :
— ... Attention. Ce lionceau
a des crocs. Il est loin d’être apprivoisé. Quand on le taquine, il mord.
Takuan passa la seconde porte en
direction de l’enceinte centrale où résidait le daimyō. Il connaissait
bien le chemin, semblait-il ; il n’avait besoin ni de guide, ni d’indications.
Il marchait la tête haute, et chacun le laissait passer.
Le capitaine, respectueux des
consignes de Takuan, ne toucha pas un cheveu de celui qu’on lui avait confié.
Il pria seulement Takezō de le suivre. Celui-ci obéit en silence. Ils
arrivèrent bientôt à une maison de bains, et le capitaine lui dit d’entrer se
laver. Ici, Takezō eut un haut-le-corps : il ne se rappelait que trop
son dernier bain, chez Osugi, et le piège qu’il avait évité de justesse. Il
croisa les bras et tenta de réfléchir, cherchant à gagner du temps et
inspectant ce qui l’entourait. Tout était si paisible !... un îlot de
calme où un daimyō pouvait, quand il ne combinait pas des stratégies,
jouir des luxes de l’existence. Bientôt se présenta un serviteur qui apportait
un kimono de coton noir et un hakama ; il s’inclina en disant
poliment :
— Je les pose ici. Vous
pouvez les mettre en sortant.
Takezō en avait presque les
larmes aux yeux. L’équipement comportait non seulement un éventail pliant et du
papier de soie, mais une paire de sabres de samouraï, un long et un court. Tout
était simple et peu coûteux, mais rien ne manquait. On le traitait de nouveau
comme un être humain ; il avait envie de frotter contre sa joue le coton
propre, et d’en respirer la fraîcheur. Il se retourna et entra dans la maison
de bains.
Ikeda Terumasa, le seigneur du
château, accoudé à la véranda, regardait dans le jardin. C’était un homme
courtaud à la tête rasée, au visage marqué de petite vérole. Bien qu’il ne portât
point de vêtements de cérémonie, il avait un maintien sévère et digne.
— Est-ce lui ?
demanda-t-il à Takuan en tendant son éventail.
— Oui, c’est lui, répondit le
moine en s’inclinant avec déférence.
— Il a bon visage. Vous avez
bien fait de le sauver.
— C’est à Votre Seigneurie qu’il
doit la vie. Non pas à moi.
— C’est inexact, Takuan, et
vous le savez bien. Si j’avais seulement une poignée d’hommes tels que vous
sous mes ordres, nul doute que beaucoup de gens utiles seraient sauvés, et que
le monde ne s’en porterait que mieux.
Le daimyō soupira.
— ... Ce qui
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