La pierre et le sabre
humain ! Parfait ! Aujourd’hui, tu quittes cet endroit.
Et ce faisant, serre bien contre ton cœur une illumination aussi chèrement
acquise. Tu en auras besoin quand tu rejoindras tes frères humains dans le
monde.
Takuan emmena Takezō tout
comme il était voir le seigneur Ikeda. Bien qu’on l’eût relégué au jardin lors
de l’audience précédente, cette fois on lui fit place sur la véranda. Après les
salutations et menus propos d’usage, Terumasa ne perdit pas de temps pour
demander à Takezō de le servir en qualité de vassal.
Celui-ci refusa. Il était fort
honoré, expliqua-t-il, mais n’avait pas le sentiment que le moment fût encore
venu d’entrer au service d’un daimyō.
— Et si je le faisais dans ce
château, ajouta-t-il, des fantômes se mettraient sans doute à apparaître chaque
nuit dans la chambre condamnée, ainsi que tout le monde le prétend.
— Pourquoi dites-vous cela ?
Sont-ils venus vous tenir compagnie ?
— Si l’on prend une lampe et
si l’on inspecte avec attention la chambre, on voit des points noirs qui
parsèment portes et poutres. On dirait de la laque, mais cela n’en est pas. C’est
du sang humain, et selon toute vraisemblance du sang versé par les Akamatsu,
mes ancêtres, lorsqu’ils ont été vaincus dans ce château.
— Hum... Vous pourriez fort
bien être dans le vrai.
— La vue de ces taches m’a
mis en fureur. Mon sang bouillait à la pensée que mes ancêtres, qui autrefois
commandaient toute cette région, ont fini par être anéantis, leurs âmes poussées
de-ci de-là comme de simples feuilles mortes aux vents d’automne. Ils sont
morts de mort violente, mais il s’agissait d’un clan puissant, et l’on peut les
réveiller... Ce même sang coule dans mes veines, continua-t-il avec une
expression intense dans le regard. Si indigne que je sois, je suis membre du
même clan, et si je reste en ce château les fantômes risquent de se réveiller
pour tâcher de m’atteindre. Dans un sens, ils l’ont déjà fait en m’indiquant
nettement, dans cette chambre, qui je suis au juste. Mais ils risqueraient de
provoquer le chaos, peut-être de se rebeller, voire de faire couler un autre
bain de sang. Nous ne sommes pas dans une ère de paix. Je dois aux populations
de toute la région de ne pas susciter la vengeance de mes ancêtres.
Takuan approuva de la tête :
— Je vois ce que tu veux dire.
Mieux vaut que tu quittes ce château, mais où iras-tu ? As-tu l’intention
de retourner à Miyamoto ? D’y passer ta vie ?
Takezō sourit en silence.
— Je veux aller et venir seul
un moment.
— Je vois, dit le seigneur en
se tournant vers Takuan. Veillez à ce qu’on lui donne de l’argent et les
vêtements qui conviennent, ordonna-t-il.
Takuan s’inclina.
— Je vous remercie de votre
bonté envers ce garçon.
Ikeda se mit à rire.
— Takuan ! C’est la
première fois de votre vie que vous me remerciez de quoi que ce soit !
— Ce doit être vrai, dit
Takuan avec un large sourire. Je ne recommencerai plus.
— Il est bel et bon pour lui
de battre la campagne pendant qu’il est encore jeune, dit Terumasa. Mais
maintenant qu’il part tout seul – né de nouveau, selon ta formule –,
il lui faudrait un nouveau nom. Que ce soit Miyamoto, de sorte qu’il n’oublie jamais
son lieu de naissance. Désormais, Takezō, tu t’appelleras Miyamoto.
Les mains de Takezō s’abaissèrent
automatiquement. Paumes tournées vers le bas, il s’inclina profondément, longuement.
— Oui, messire, je le ferai.
— Il faut changer aussi de
prénom, intervint Takuan. Pourquoi ne pas lire les caractères chinois de ton
nom « Musashi » au lieu de « Takezō » ? Tu peux
continuer d’écrire ton nom de la même façon qu’auparavant. Ce n’est que justice
que tout commence à neuf en ce jour de ta renaissance.
Terumasa, d’excellente humeur,
hocha la tête en signe d’approbation enthousiaste :
— Miyamoto Musashi ! Un
beau nom, un très beau nom. Il faut que nous buvions à ce nom.
Ils passèrent dans une autre salle ;
on servit le saké ; Takezō et Takuan tinrent compagnie à Sa
Seigneurie fort avant dans la soirée. Ils furent rejoints par plusieurs membres
de la suite de Terumasa ; enfin, Takuan se leva pour exécuter une danse
ancienne. Il y excellait ; ses mouvements créaient un monde imaginaire de
délices, Takezō, devenu Musashi, regardait avec admiration, respect et
amusement, tandis
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