La pierre et le sabre
d’étendre
au sol, d’un seul coup de poing, la sentinelle qui tentait de lui sauter
dessus. Avec une force presque surhumaine il tira sur un montant de la porte
intérieure, qu’il secoua furieusement jusqu’à l’arracher de terre. Alors, il se
retourna vers ses poursuivants. Il en ignorait le nombre ; tout ce qu’il
savait, c’est que quelque chose de gros et de noir l’attaquait. Visant de son
mieux, il frappa la masse indifférenciée avec le montant de porte. Un bon
nombre de lances et de sabres volèrent en éclats et retombèrent par terre,
inutilisables.
— Ogin ! cria Takezō
en courant vers le fond de la palanque. Ogin, c’est moi... Takezō !
Ses yeux étincelants scrutaient
les bâtiments ; plusieurs fois, il appela sa sœur. « Tout ça n’était-il
qu’une ruse ? » se demandait-il en proie à la panique. Il se mit à
enfoncer les portes, une à une, avec le montant. Les poulets des gardes volaient
en tous sens avec des cris épouvantés.
— ... Ogin !
Comme il n’arrivait pas à la
repérer, ses cris rauques devinrent presque inintelligibles.
Dans l’ombre d’une des petites
cellules crasseuses, il aperçut un homme qui tentait de se glisser au-dehors.
— Halte ! cria-t-il en
lançant le montant de porte sanglant aux pieds de cet être chafouin.
Quand Takezō lui sauta
dessus, il se mit à hurler sans vergogne. Takezō le gifla violemment.
— ... Où est ma sœur ?
rugit-il. Qu’est-ce qu’ils ont fait d’elle ? Dis-moi où elle est, sinon je
te bats à mort !
— Elle... elle n’est pas ici.
Avant-hier, ils l’ont emmenée. Ordre du château.
— Où ça, espèce de crétin, où
ça ?
— A Himeji.
— A Himeji ?
— Ou-ou-oui.
— Si tu mens, je vais...
Takezō empoigna par les
cheveux la masse gémissante.
— C’est vrai... vrai. Je le
jure !
— Je l’espère pour toi, sinon
je reviens uniquement pour te régler ton compte !
Les soldats revenaient à la charge ;
Takezō souleva l’homme, et le leur lança à la tête. Puis il disparut dans
l’ombre des misérables cellules. Une demi-douzaine de flèches volèrent à ses
oreilles ; l’une transperça le pan de son kimono comme une aiguille à
coudre géante. Takezō se mordit l’ongle du pouce en regardant passer les
flèches, puis soudain s’élança vers la clôture, qu’il franchit à la vitesse de
l’éclair.
Derrière lui, il y eut une
explosion violente. L’écho du coup de feu gronda à travers la vallée.
A toute vitesse, Takezō
descendit dans la gorge ; durant sa course, des fragments des
enseignements de Takuan se bousculaient dans sa tête : « Apprends à
redouter ce qui est redoutable... La force brutale n’est que jeu d’enfant, la
force aveugle des bêtes... Aie la force du véritable guerrier... le vrai
courage... La vie est précieuse.
La naissance de Musashi
Takezō attendit aux abords de
la ville-château de Himeji ; quand il ne se cachait pas dessous, il se
tenait le plus souvent sur le pont de Hanada à observer discrètement les
passants. Ou alors, il effectuait de petites incursions en ville, le chapeau
enfoncé sur les yeux, la face dissimulée, comme celle d’un mendiant, derrière
un morceau de natte de paille.
Il était déconcerté qu’Otsū n’eût
pas encore paru ; une semaine seulement s’était écoulée depuis qu’elle
avait juré de l’attendre là – non point cent jours, mais mille. Une
fois que Takezō avait fait une promesse, il répugnait à la rompre. Mais
chaque instant qui passait lui donnait davantage la tentation de bouger ;
pourtant, la promesse faite à Otsū n’avait pas été l’unique raison de sa
venue à Himeji. Il lui fallait aussi découvrir où l’on gardait Ogin
prisonnière.
Il se trouvait à proximité du
centre de la ville, un jour, lorsqu’il entendit une voix crier son nom. Il leva
vivement les yeux, et vit Takuan s’approcher en l’appelant :
— Takezō !
Attends-moi !
Il tressaillit et, comme à l’ordinaire
en présence de ce moine, se sentit légèrement humilié. Il avait cru que
personne, pas même Takuan, ne le reconnaîtrait sous son déguisement.
Le moine le saisit par le poignet.
— Viens avec moi,
ordonna-t-il.
Impossible de ne point remarquer
le caractère pressant du ton.
— ... Et ne fais pas d’histoires.
J’ai passé beaucoup de temps à ta recherche.
Takezō le suivit docilement.
Il n’avait pas la moindre idée de l’endroit
Weitere Kostenlose Bücher