La pierre et le sabre
m’inquiète, c’est
que tous mes hommes croient que leur unique devoir consiste à ligoter les gens
ou à les décapiter.
Une heure plus tard, Takezō
se trouvait assis dans le jardin, devant la véranda, la tête inclinée et les
mains reposant à plat sur les genoux dans une attitude de respectueuse
attention.
— Vous vous nommez Shimmen Takezō,
n’est-ce pas ? demanda le seigneur Ikeda.
Takezō leva rapidement les
yeux pour voir le visage du célèbre personnage, puis les abaissa de nouveau en
signe de respect.
— Oui, monsieur, répondit-il
en articulant bien.
— La maison de Shimmen est
une branche de la famille Akamatsu, et Akamatsu Masonori, vous le savez fort
bien, fut autrefois seigneur de ce château.
La gorge de Takezō se
dessécha. Pour une fois, les mots lui manquaient. S’étant toujours considéré
comme la brebis galeuse de la famille Shimmen, et n’éprouvant aucun sentiment
particulier de respect envers le Daimyō, il n’en était pas moins rempli de
honte d’avoir à ce point déshonoré ses ancêtres et le nom de sa famille. Le
visage lui cuisait.
— ... Ce que vous avez fait
est inexcusable, continua Terumasa d’un ton plus sévère.
— Oui, monsieur.
— Et il va me falloir vous en
punir.
Se tournant vers Takuan, il
demanda :
— Est-il exact que mon serviteur,
Aoki Tanzaemon, sans ma permission, vous ait promis que si vous capturiez cet
homme, vous pourriez décider de son châtiment et de lui infliger ?
— Je crois que vous feriez
mieux de vous renseigner en interrogeant Tanzaemon en personne.
— Je l’ai déjà interrogé.
— Vous croyiez donc que je
pourrais vous mentir ?
— Bien sûr que non. Tanzaemon
a avoué, mais je voulais votre confirmation. Comme il est mon vassal direct, le
serment qu’il vous a fait en constitue un de moi. Par conséquent, bien que je sois
le seigneur de ce fief, j’ai perdu mon droit de châtier Takezō comme je le
juge bon. Naturellement, je ne permettrai pas qu’il demeure impuni mais il vous
revient de déterminer la forme que prendra la punition.
— Bien. C’est exactement ce
que j’avais en tête.
— Alors, je suppose que vous
y avez réfléchi. Eh bien, qu’allons-nous faire de lui ?
— Je crois que le mieux
serait de mettre le prisonnier en... comment dire ?... en difficulté pendant quelque temps.
— Mais encore ?
— Je crois que vous avez
quelque part, dans ce château, une chambre condamnée, une chambre qui passe
depuis longtemps pour être hantée ?
— Oui, c’est vrai. Les
domestiques refusaient d’y pénétrer, et les gens de ma suite l’évitaient avec
obstination ; aussi a-t-on cessé de l’utiliser. Aujourd’hui, je la laisse
en l’état, car il n’y a aucune raison de la rouvrir.
— Mais ne croyez-vous pas qu’il
est indigne de l’un des plus puissants guerriers du royaume de Tokugawa :
vous-même, Ikeda Terumasa, d’avoir en votre château une chambre où jamais ne
brille de lumière ?
— Je n’ai jamais envisagé la
question sous cet angle.
— Mon Dieu, les gens ont de
ces idées. Il y va de votre autorité, de votre prestige. Je dis que nous
devrions éclairer cette chambre.
— Hum...
— Si vous me laissez en faire
usage, j’y garderai Takezō jusqu’à ce que je sois disposé à lui pardonner.
Il a suffisamment vécu dans l’obscurité complète. Tu entends cela, n’est-ce
pas, Takezō ?
Takezō ne souffla mot, mais
Terumasa se mit à rire en disant :
— Parfait !
Leurs excellents rapports
prouvaient que Takuan avait dit la vérité à Aoki Tanzaemon, le soir de leur
conversation au temple. Takuan et Terumasa, tous deux adeptes du Zen, avaient
bien l’air d’être en termes amicaux, presque fraternels.
— Une fois que vous l’aurez
conduit à son nouveau logement, pourquoi ne viendriez-vous pas me rejoindre à
la maison de thé ? demanda Terumasa au moine en se levant pour s’en aller.
— Oh ! auriez-vous l’intention
de faire, une fois de plus, la preuve de votre inaptitude à la cérémonie du thé ?
— Takuan, vous êtes fort
injuste. Ces jours-ci, j’ai vraiment commencé à attraper la manière. Venez plus
tard, et je vous prouverai que j’ai cessé d’être uniquement un soldat mal dégrossi.
Je vous attendrai.
Là-dessus, Terumasa se retira vers
le centre de la résidence. En dépit de sa courte stature – il
mesurait à peine un mètre cinquante –, sa présence paraissait remplir
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