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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pamphlet il
intitule, n’y allant pas que d’une fesse : l’Anti-Espagnol. Il ne
le signe pas de son nom, mais son talent le signe pour lui, et fort suspicionné
par les Seize, lesquels aiguisent jà les couteaux pour le dépêcher, il
s’ensauve de Paris déguisé en maçon.
    — Ha ! Que j’aime ce trait ! dis-je.
    —  Mi fili ! Tu ne pouvais ne pas l’aimer,
dit Fogacer, en levant son sourcil, étant toi-même si adonné à la déguisure.
    — J’entends, dis-je, que j’aime à la fureur cette
vaillance de plume que je tiens pour l’égale de la vaillance d’épée.
    — Et, de présent, dit Fogacer, la vaillance remplaçant
l’estoc, voilà notre Anti-Espagnol qui, comme Jeanne d’Arc, veut bouter
l’étranger hors de France !
    — Notre Vercingétorix plutôt, dit La Surie,
puisqu’il est né dans un volcan.
    Je trouvai le trait de mon Miroul excellent et je le lui
dis, ce qui le conforta prou, pour ce que j’avais tordu le nez quelques jours
de devant à une de ses saillies, et aussi pour ce qu’il était chagrin de ne
pouvoir visiter avec moi Maître Arnauld, chez lequel j’advins, en effet, sur le
coup de dix heures et fus reçu, de prime, par Madame son épouse qui me parut
aussi vigoureuse que belle, et Dieu sait si vigoureuse il avait fallu qu’elle
le soit, pour avoir mis au monde quatorze enfants, à mon avis, queue à queue,
car à la voir, elle n’avait guère passé trente ans. Et belle lectrice, à
l’heure où j’écris ces lignes, à l’aube du siècle nouveau, j’apprends que le
nombre de ses enfants est passé à vingt. Je dis bien vingt, et la mère, à ce
qu’on me dit, est toujours aussi saine et gaillarde que je la vis en ce jour de
juillet 1594. De quoi je conclus que cette Parisienne, par la force et
l’endurance de sa constitution, valait bien son mari auvergnat en le cabinet de
qui, incontinent, elle m’introduisit, n’osant pas, quant à elle, y avancer le
bout du pié, comme s’il se fût agi du saint des saints.
    — Monsieur le Marquis, dit Antoine Arnauld en se
levant, je suis votre humble serviteur et plaise à vous que j’achève une phrase
qui me pend au bout de la plume, de peur de la perdre, si je ne l’apprivoise
tout de gob à mon papier.
    — De grâce, de grâce, Révérend Maître ! dis-je,
n’allons point tant à la cérémonie vous et moi, mon Périgord n’est point tant
loin de votre Auvergne que nous ne puissions nous dire pays. Adonc, faisons les
choses rondement, à la vieille française.
    — Monsieur le Marquis, dit-il en se rasseyant, je vous
suis très obligé de votre honnêteté.
    Et il se remit « à apprivoiser sa phrase à son
papier », comme il avait dit si bien, ce qui me laissa tout le temps de
l’envisager. Il ne m’avait pas paru fort grand, quand il s’était levé, mais une
fois rassis, je le trouvai fort large, l’épaule carrée, le poitrail bombé, la
membrature, à ce que je devinais, sèche et musculeuse, la face, elle aussi,
plus large que longue, l’œil noir de jais, le cheveu aile-de-corbeau, la peau
d’un gris foncé que je serais tenté d’appeler basaltique, l’homme étant si velu
que le poil lui sortait quasiment du nez en touffes, lequel nez était long et
la mâchoire forte, les lèvres non point minces, mais fort serrées l’une contre
l’autre. Le pourpoint était de velours noir, fort boutonné maugré la chaleur du
temps, et la fraise petite et quasi huguenote. Et du reste, Arnauld ne manquait
pas que de me ramentevoir l’oncle Sauveterre par une sorte de feu couvant sous
sa roideur et son austérité.
    Austère, toutefois, le cabinet où il labourait ne l’était
point, ayant sur le jardin une suite de quatre fenêtres magnifiquement
façonnées, de belles tapisseries sur les deux autres murs et sur le troisième,
de haut en bas, et de dextre à senestre, une suite de casiers fermés par de
merveilleuses petites portes en marqueterie de bois précieux, dans lesquels, se
peut, il mettait à l’abri ses papiers les plus secrets, lesdites portes ne
s’ouvrant, j’imagine, que par une mécanique contenue dans la plinthe qu’on
actionnait avec le pied. Je l’imagine, pour ce que ces casiers si joliment clos
et qui couvraient, comme j’ai dit, tout le mur, je les avais vus dans le petit
cabinet de travail de Catherine de Médicis au château de Blois, tant est
qu’Antoine Arnauld, étant alors son procureur général, avait dû avoir souvent
occasion de les admirer,

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