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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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lui aussi. Et la reine mère défunte, il n’avait eu
cesse qu’il ne les reproduisît en son beau logis parisien, y compris dans la
plinthe le ressort dérobé. Preuve qu’il ne faillait pas en pécunes. Et qu’il ne
les épargnait pas non plus quand il s’agissait d’embellir sa demeure.
    — Voilà qui est fait, Monsieur le Marquis, dit Arnauld
en posant sa plume, non sans un grand air de contentement sur sa face sévère.
Et me voici attentif à vous et tout dévoué à votre service.
    — Révérend Maître, dis-je, le roi a quis de moi, en
toute confidence, que je m’informe sur le procès que l’Université et les curés
font aux jésuites. Je l’ai fait. De cette secte et sur sa double nature,
régulière et séculière, séduisante par l’enseignement qu’ils dispensent, sur
les absolutions accommodantes qu’ils baillent aux Grands, et sur leur
insatiable appétit aux legs, j’ai appris d’aucunes choses déquiétantes assez,
mais point assez damnables pour justifier un exil de leur compagnie. Il n’est
pas que vous n’aperceviez vous-même, Maître, puisque vous plaidez contre eux
pour l’Université, que celle-ci leur garde une très mauvaise dent d’avoir
enfreint leurs privilèges et de miner ses écoles par l’excellence et la
gratuité des leurs. Quant aux curés, ils veulent mal de mort aux jésuites de
leur rober leurs plus riches pénitents, et les évêques enragent de voir par eux
leurs mandements déprisés. Mais qui ne voit qu’il n’y a là, au fond, dans les
deux cas, que jaleuseté de boutique à boutique, et que ce grand remuement
contre les jésuites ne s’explique que par elle ?
    Ce n’était point sans quelque diablerie que je me faisais
ainsi l’avocat du diable. Mais après tout, je n’ignorais pas que de grands
personnages – le duc de Nevers, Cheverny, Monsieur d’O, d’Épernon, le
procureur La Guesle, Antoine Séguier et une bonne moitié du parlement –
raisonnaient là-dessus comme je venais de faire, et poussaient énormément à la
roue pour un ajournement du procès. Aussi escomptais-je avoir allumé assez
Maître Antoine Arnauld par cette captieuse thèse pour que son ire éruptât en
flammes qui pussent m’éclairer. Ce qu’elle ne manqua pas de faire : car
sourcillant, cillant, les narines pincées, les lèvres tremblantes, son teint du
gris foncé tournant quasiment au noir sous l’afflux du sang irrité, et les deux
poings serrés martelant la table qui nous séparait, il s’écria d’une voix
tonnante :
    — Ha ! Monsieur ! C’est là un propos dont je
suis bien assuré qu’au fond de vous-même vous ne le prenez pas à compte !
Car il se trouve tant ignare, insuffisant et inepte qu’il est à la vérité des
choses ce que l’écume de la crête est à une vague déferlante : sans
épaisseur, sans force et sans substance. Croyez-vous que je serais entré en ce
combat corps et âme s’il s’était agi à mes yeux d’une misérable dispute de
chiches intérêts ? Nenni, nenni ! L’affaire pèse un bien autre poids,
et bien au-delà de l’Université et des curés, elle intéresse la vie du roi, la
paix de ce pays et l’avenir de la nation, voire même celui de l’Europe.
    — Hé ! Révérend Maître ! dis-je, si elle est
d’une telle et capitale conséquence alors éclairez-moi ! Je ne demande
qu’à être instruit et à voir ce procès sous son véritable jour.
    — Monsieur le Marquis, poursuivit Maître Antoine
Arnauld d’une voix aussi forte que s’il s’adressait au parlement, vous ne
pouvez ignorer, ayant servi, à ce qu’on me dit, sous Henri Troisième et Henri
Quatrième avec le zèle le plus émerveillable, que Philippe II d’Espagne,
se voyant rempli de l’or des Indes, n’a point embrassé de moindres espérances
que de se rendre monarque et empereur de l’Occident par ruse et force. Et que
la plus grande part de ladite ruse tient à une contrefeinte défense de la
religion catholique contre la Réforme, n’ignorant point – ce renard de
Madrid ! – combien les scrupules de la religion influencent les
esprits. Pour cette raison il gagna la plus grande partie du Vatican par
d’opulentes pensions versées aux cardinaux et hormis Sixte-Quint, ne laissa pas
d’ores en avant d’avoir les papes à sa dévotion. Mais comme la Cour de Rome
était lourde, pesante, procédurière et sédentaire, Philippe II eut besoin
d’hommes légers et remuants, disposés en tous lieux et répandus

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