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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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froidureux.
    — Louison, repris-je déquiété assez par son attitude,
que signifie ceci ? N’aimes-tu plus cette grande Paris ? T’ennuies-tu
de ta province ?
    — Nenni, Monsieur.
    — Quelqu’un t’a-t-il fait peine céans ?
    — Nenni, dit-elle avec quelque chaleur. Le monde est
bien honnête avec moi en ce logis. Je le regretterai.
    — Et Guillemette ?
    — Ha ! celle-là ! dit-elle en s’animant, il
n’est que d’un bon soufflet, quand et quand, pour lui redresser le respect.
    — Mamie, veux-tu que j’augmente tes gages ?
    — Fi donc. Monsieur le Marquis ! me croyez-vous
chiche-face ? Vous me payez jà bien assez !
    Ayant dit non sans quelque véhémence, elle se figea derechef
dans sa pierreuse immobilité.
    — Louison, dis-je, es-tu en quelque lien d’amitié avec
ce marchand-bonnetier, lequel serait fort assez pour que tu désires nous
quitter ?
    — Monsieur le Marquis doit bien savoir que non, dit
Louison avec feu, ni avec ce marchand ni avec personne d’autre.
    — Louison, dis-je avec quelque raideur, je suis au bout
de mes questions. Et si tu ne veux me dire rondement et à la franche marguerite
le pourquoi de ta décision, alors par toutes les cornes du diable ! je ne
te baillerai pas ton congé.
    — Monsieur le Marquis, dit-elle, comme indignée, vous
seriez un beau tyranniseur, si vous me le refusiez.
    — Je serai donc un beau tyranniseur, ou
sanguienne ! Je saurai pourquoi tu t’es mis dans les mérangeoises de
départir d’une maison où tu ne laboures pas prou, reçois de bons gages, et te
trouves bien considérée.
    — Point par tous.
    — Quoi ? dis-je, point par tous ! Nomme-moi
le faquin qui t’ose dépriser !
    — Monsieur le Marquis, dit-elle, la plus grande
confusion se peignant sur sa belle face, ce n’est pas un faquin, c’est vous.
    — Moi ? dis-je béant. Moi je te déprise,
Louison ?
    — Monsieur, ces cinq jours écoulés, vous me verrouillez
au nez votre huis nuit et jour, lequel huis j’ai pris en grande détestation
pour m’être à lui tant de fois cognée.
    — J’étais las.
    — Monsieur mon maître, pardonnez-moi. Vous mentez un
peu. Je ne vous ai jamais vu las, surtout s’agissant de besogner une garce.
    — Ou bien quelque souci, se peut, me tracassait.
    — Monsieur, pardonnez-moi. Ces trois jours écoulés,
tous les jours et sur le coup de midi, je vous ai suivi jusqu’à une certaine
porte verte de laquelle vous avez la clé.
    — Sanguienne ! Quelle trahison ! criai-je,
fort encoléré.
    — Monsieur, dit-elle roidement, il n’y a pas trahison.
Je ne sais ni ne veux apprendre qui loge là. Ce n’est pas affaire à moi. Je ne
quiers que mon congé pour la raison que je me trouve d’être offensée par vous.
    — Offensée, Louison ! criai-je, stupéfait.
    — Oui-da, offensée ! Non point tant pour ce que
vous allez où bon vous semble que pour ce que vous n’avez plus appétit à moi.
    Cela me clouit le bec, et me fit faire sur moi quelque petit
retour. Pour ce qu’une chambrière nous vient de la roture, nous sert et se
montre à nos désirs ployable, nous oublions qu’elle est femme, elle aussi, et
tout aussi jaleuse et tout autant huchée sur son point d’honneur féminin que la
plus haute dame. À y rêver un peu plus outre, ma pauvre Louison n’agissait
point sans raison, non plus que sans dignité.
    — Louison, dis-je doucement en me levant, pardonne-moi,
je te prie, de t’avoir sans maligne intention offensée. Il est vrai, je suis
raffolé d’une dame et ne peux rêver d’aucune autre. Si tu désires là-dessus
t’en aller, libre à toi. Je te baillerai ton congé, et, en outre, un viatique
conséquent assez pour te servir de dot quand tu te voudras marier. Toutefois,
je voudrais que tu saches que je te verrais départir avec de grands regrets,
prisant fort tes bonnes dispositions, et étant à toi très affectionné.
    — Et moi à vous ! cria-t-elle en me prenant les
mains et les larmes lui jaillissant des yeux. Ha ! Monsieur mon maître,
reprit-elle, homme meilleur que vous je ne retrouverai mie en ce monde, large
de cœur, libéral de ses pécunes, patient aux fautes, gai et gaussant en son
quotidien, et avec moi, pour ce que vous savez, tendre et caressant.
    Je fus tant surpris d’être par elle loué comme je loue
d’ordinaire les garces : à la truelle, que je m’accoisai et lui donnai une
forte brassée, et des poutounes sur les deux joues, ayant moi-même

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