La pique du jour
les larmes
au bord du cil et que je le dise enfin, hors du cil et sur les joues coulant,
dès que l’huis fut sur elle reclos. Eh quoi ! direz-vous, larmoyer pour
une chambrière, pleurer pour cet amourifime ! Eh oui, lecteur, le cœur est
étrangement fait. Tant que Louison fut là, il me parut tant aller de soi de la
mignonner à chaque fois que j’y avais appétit que je ne faisais quasiment pas
de cette commodité autant de cas que j’eusse dû. Et toutefois, dès que le
pensement de son absence tout soudain me frappa, je me sentis quasiment veuf en
mon logis de mes plus douces habitudes, tout amoureux que je fusse de ma jolie
duchesse, et si fidèle que je lui voulusse demeurer.
L’après-lendemain, ma pauvre Louison, lestée de mon
viatique, s’en alla, autant, à rebrousse-cœur que moi-même à maugré de la voir
s’en aller. Et lui ayant remis une lettre missive pour Péricard pour lui
souhaiter bonne fortune et succès dans les négociations qu’il menait avec les
envoyés du roi touchant la reddition de Reims, je l’accompagnai jusque sur mon
seuil avec tout mon domestique. Et pour dire tout le vrai, le logis me parut, à
y rentrer, plus vide et plus triste de son département.
Par bonheur, je ne pus y rêvasser longtemps, Franz me
remettant un billet de maître Antoine Arnauld qu’un petit vas-y-dire venait d’apporter, lequel billet changea le cours marmiteux de mes pensées en
m’invitant à visiter le grand avocat sur le coup de dix heures. Et qui survint
à l’improviste sur le mijot de cette bonne nouvelle pour y ajouter le sel de sa
présence, mon arachnéen Fogacer, tout de noir vêtu, le sourcil haut levé et la
lèvre sinuante.
— Ha ! mi fili, dit-il dès qu’il apprit
avec qui j’allais cette matine m’entretenir, vas-y par tous les diables, mais
le chapeau sur l’œil et fort bouché dans ton manteau, encore que ce juillet
soit chaud, car c’est là une maison que nos espagnolisants jésuites et leurs
amis tiennent en grande détestation, pour ce qu’il s’y marmitonne, dans des
marmites d’enfer, une poudre qui ne vise à rien d’autre qu’à les faire escamper
de France.
— Et quid du marmiton ?
— Antoine Arnauld ? Ha ! celui-là ! Si
les jésuites sont toute souplesse, il est, lui, la rudesse incarnée. C’est un
Auvergnat ! Il est taillé dans ce basalte d’Auvergne dont on empierre les
routes ! On pourrait marcher dessus cent ans, on ne l’userait pas !
Et pour ce qui est de son talent d’avocat, l’as-tu ouï, mi fili ?
— Nenni.
— Un volcan d’Auvergne, mais à l’ancienne. Il
bouillonne, rougeoie, crépite, il a l’éloquence cramante, faite de lave et de
feu ! Pauvres jésuites !
— Et quid de l’homme ?
— Il a à peine passé trente-quatre ans, mais quel
laboureur indéfatigable ! Dieu sait, il n’est pas épargnant de sa sueur ni
de la lampe à huile, veillant sur ses plaidoiries jusqu’à la minuit, tôt levé,
tard couché et prenant encore sur son sommeil pour engrosser sa femme à qui il
a fait jà quatorze enfants.
— Et quid de cette épouse féconde ?
— Oyez ! Oyez ! Messieurs mes amis !
s’écria Fogacer en levant au ciel ses bras arachnéens, oyez la belle histoire
que voilà ! L’illustrissime avocat Simon Marion entend un jour notre
homme, en son premier bourgeon, plaider au parlement de Paris. Tout de gob
conquis, il l’emmène avec lui en sa carrosse, l’invite à sa repue, le juge, le
jauge, et lui baille sa fille en mariage ! Quelle émerveillable aubaine
pour ce rejeton auvergnat d’être greffé sur cette vieille souche de bourgeoisie
parisienne pleine de pécunes et de vertus !
— Antoine Arnauld est-il lui-même si vertueux ?
— Mi fili ! Comparée à lui, la droiture
elle-même paraîtrait courbe ! Et c’est un homme adamantinement fidèle à sa
nation, à l’Église gallicane, au roi et à ses opinions.
— L’Étoile aussi, dis-je, et le vieux De Thou aussi, et
la Dieu merci, une grande partie de la bourgeoisie de robe.
— Mais De Thou est vieil et mal allant, dit Fogacer
avec son sinueux sourire et L’Étoile n’aime pas se brûler les moustaches en
s’approchant trop près du feu ! Arnauld, lui, ne craint ni feu ni neige.
Outré pendant le siège de Paris par les sermons régicides du curé Boucher, le
bien-nommé, et du jésuite Commolet, il écrit et publie un pamphlet écrasant sur
les Seize, le légat du pape et le duc de Feria, lequel
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