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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dix ans en Europe sur des rois excommuniés, lesquels
rois se trouvaient par le plus miraculeux hasard être aussi les principaux
obstacles à la domination par l’Espagne de l’Occident. Savez-vous qu’en Paris,
au collège de Clermont, les pères jésuites – tous français de
souche – refusent de prier et de faire prier leurs fidèles pour le roi de
France ?
    — Je le sais.
    — Mais qu’en revanche, ils prient matin et soir pro
rege nostro Philippo [29] . Et n’est-ce pas une
monstrueuse corruption de la religion qu’elle vous fasse perdre votre patrie,
non point pour la plus grande gloire de Dieu, mais pour vous en façonner une
autre, ennemie de celle où vous êtes né et ne rêvant que de l’asservir ?
Les jésuites, Monsieur le Marquis, ne rendent pas à Dieu ce qui est à Dieu, et
à César ce qui est à César. Ils rendent à César ce qui est à Dieu…

 
CHAPITRE VI
    Cette dernière phrase d’Antoine Arnauld résonna en moi toute
la journée et toute la nuit qui suivirent notre entretien, la nuit surtout,
pour ce que ces heures nocturnes s’encontrèrent tracasseuses et désommeillées,
coupées qui-cy qui-là de rêves funestes, où je voyais Henri IV succomber
comme son prédécesseur sous les coups d’un moine exalté.
    Toutefois, à y réfléchir plus outre, dans mes moments de
veille, il ne me parut pas que la phrase d’Arnauld sur les jésuites qui
rendaient à César ce qui appartenait à Dieu rendît compte tout à plein de
la fine vérité, telle du moins que je l’apercevais. Il était assurément
constant que la compagnie dite de Jésus avait été fondée en Espagne par un
capitaine espagnol et qu’elle obéissait perinde ac cadaver depuis sa
Fondation à un général nommé par le roi d’Espagne. Cependant, composée
au cours des ans d’une infinité de jésuites dont beaucoup avaient sucé le lait
d’autres louves en d’autres royaumes, elle se fût à la longue despagnolisée
(pour parler comme ma jolie duchesse) si la Réforme n’était pas venue remettre
en cause les fondements mêmes de l’Église catholique. Dès lors, et justement
parce que la foi des jésuites était si entière, si zélée et si fanatique, ils
furent amenés à soutenir en tous ses desseins, fussent-ils les plus
sanguinaires, le souverain qui apparaissait en Europe comme le glaive et le
bouclier de l’Église de Rome.
    Mieux même : le bras séculier finit par compter pour
eux plus que la tête spirituelle, et le général espagnol choisi par
Philippe II, davantage que le pape. N’était-il pas émerveillable que
l’évêque de Rome n’ait reçu l’hommage de leur obédience que dans le quatrième
vœu de leur ordre alors que le général recevait dès leur premier vœu le
serment de leur absolue et cadavérique obéissance ? En outre, et selon
leurs propres termes in illo (à savoir en leur général) christum
velut praesentem agnoscant [30] . Étrange
idolâtrie, laquelle n’était que la préface d’un étonnant détournement de
l’esprit évangélique : l’excommunié était partout tuable, et tuable au nom
du Dieu qui prescrivait l’homicide.
    Les jésuites, assurément, n’apparaissaient point aussi
frustes que le jacobin qui enfonça le cotel dans le ventre de mon pauvre
bien-aimé maître le roi Henri Troisième. Ils ne portaient pas eux-mêmes le fer
dans les entrailles du roi excommunié. Ils se contentaient de susciter le sacrificateur.
Dans leurs collèges, ils enseignaient qu’il était loisible d’occire le tyran
d’exercice. Du haut des chaires sacrées, ils allaient plus loin. Ils
appelaient de leurs vœux un Ahod [31] pour dépêcher ledit
Tyran. Et dans toute l’Europe, il n’était tête folle qui vînt leur confesser un
soudain appétit à tuer un souverain protestant – Guillaume d’Orange, la
reine Elizabeth ou Henri IV de France – qu’ils ne l’encourageassent
incontinent dans cette voie criminelle par des promesses d’éternelle béatitude.
Que Henri Quatrième fût converti, peu leur chalait : ils ne
reconnaissaient pas sa conversion.
    Je me ramentois que la matine qui suivit cette angoisseuse
nuit, je fus fort travaillé par la sinistre prémonition de mes songes, et je
disputai longuement avec M. de La Surie si nous ne devions pas
courre prévenir le roi – lequel s’attardait à Laon pour recevoir les
villes du Nord qui après la capitulation de la susdite ville lui tombaient
« comme prunes dans le bec » – car il

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