La pique du jour
trop.
— De reste, dis-je, il faut bien avouer que ce Maure
avait l’esprit trop littéral et chicanier, car l’hymen peut être rompu par
accident, et la fille n’en est pas moins vierge.
Miroul sourit et, à ce sourire bien particulier, je sentis
qu’il avait encontré un giòco di parole et qu’il allait l’épouser.
— C’est la verge qui défait la vierge, dit-il, et rien
d’autre. Adonc le Maure errait ! Adonc le Maure méritait la mort !
— Nenni, nenni, dis-je, mon Miroul, ne sacrifions pas
ce pauvre Maure à un jeu de mots. Saint Ignace a donné là, ce me semble, un
exemple fort triste d’intolérance.
— On prétend, toutefois, dit L’Étoile, qu’en tant que
confesseurs, la tolérance des jésuites meshui va si loin qu’ils absolvent
presque tout. Si cela est vrai, peu m’enchanterait qu’ils dirigent ma
conscience. La Dieu merci, mon confesseur est un curé à la vieille française.
Il me tance ! Il me gourmande ! Il me punit ! Il ne laisse pas
de me faire honte inlassablement de mes vices et de mes péchés ! Et il
m’objurgue avec violence de me repentir.
— Et vous repentez-vous, Monsieur le Grand
Audiencier ? dit Miroul.
— Sincèrement, dit L’Étoile, la lippe amère et la
paupière basse. Mais je retombe à chaque fois dans mes errements.
Là-dessus, il envisagea sa montre-horloge et disant qu’il
s’excusait de ne pas délayer plus avant en notre amicale compagnie, Madame son
épouse l’espérant au logis, il s’en fut, le front soucieux, mais le pas
guilleret.
— Il semblerait, dis-je, que notre bon L’Étoile a de
grands scrupules à venir céans si souvent.
— Quoi de plus naturel ? dit Miroul en souriant
d’un seul côté du bec. C’est question de poids et de contrepoids. L’Étoile pèse
sur Lisette et Lisette pèse sur sa conscience.
— Miroul, dis-je, je ne sais pas si j’aime beaucoup ce giòco.
Je tâchai le lendemain de voir Antoine Arnauld et lui
envoyai un billet par un de mes pages, lequel me revint deux grosses heures
plus tard (Arnauld demeurant à cinq minutes de mon logis) avec un billet fort
courtois de l’illustre avocat me disant de bien vouloir patienter huit petits
jours avant de le visiter, pour ce qu’il était en train de composer sa
plaidoirie contre les jésuites et la voulait achever avant que d’encontrer âme
qui vive, l’issue de ce procès étant pour le roi et la nation de la plus grande
conséquence.
Six jours plus tard, comme après la repue du soir je me
dévêtais dans ma chambre, on frappa à mon huis, lequel, si le lecteur se
ramentoit, donne sur le viret de la tour d’angle, commodité que je partage avec
Louison qui couche dans la chambre au-dessus de la mienne et qui nous permet à
elle de descendre, ou à moi de monter, sans déranger personne.
— C’est toi, Louison ? dis-je, étonné de ce
toquement.
Et oyant sa voix en réponse, j’allai déverrouiller la porte,
laquelle étant déclose, Louison s’avança dans ma chambre, vêtue non point comme
à l’accoutumée de ses robes de nuit, mais en corps de cotte et en cotillon. Ce
qui ne laissa pas que de me surprendre et, plus encore, l’air résolu que
portait la face blonde et colorée de ma grande Champenoise.
— Eh bien, Louison, dis-je, que me veux-tu en cette
vêture ?
— Monsieur le Marquis, dit-elle, j’ai encontré hier, en
allant à la moutarde avec Mariette, par les mes de cette ville, un
marchand-bonnetier de Reims que je connais et qui, retournant en Champagne,
bien escorté, serait bon assez pour m’emmener avec lui après-demain et me
prendre à son service, s’il plaisait à vous de me donner mon congé.
Ceci fut débité d’une traite et quasi sans reprendre
souffle, les deux mains sur les hanches, l’œil décidé et les traits fermes.
— Louison, dis-je, voilà qui requiert quelque
explication. Prends place là sur cette escabelle devant moi et me dis pourquoi
tu me désires quitter.
— Monsieur le Marquis, dit-elle en s’asseyant roidement
assez et en tenant le torse bien dret, les deux mains croisées sur les genoux
et le visage comme marbre, ce n’est point tant que je désire vous quitter,
c’est que je veux départir.
— Mamie, voilà qui me paraît à moi du pareil au même.
— Point du tout, dit Louison et elle s’accoisa, plus
muette et quiète qu’une statue. Et pour moi, je n’osai même pas étendre le bras
pour toucher ce monument, tant il me semblait
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