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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de tous côtés
pour avancer les affaires de l’Espagne. Ces hommes furent les jésuites.
    — Quoi, Révérend Maître ? criai-je, en êtes-vous
bien assuré ? Sont-ils tout à trac dans la main de l’Espagne ?
    — Comment en douter ? reprit-il. Le premier et
principal de leurs vœux est d’obéir perinde ac cadaver [28] à leur
général.
    —  Perinde ac cadaver ! dis-je, que sinistre
est la métaphore !
    — Et plus sinistre encore le fait que ce général est
invariablement espagnol, et choisi par le roi d’Espagne.
    — Je cuidais que c’était par le pape.
    — Point du tout ! Au pape, les jésuites –
c’est leur vœu quatrième – font profession d’obéissance absolue, mais
c’est Philippe II qui nomme leur général.
    — N’y a-t-il pas, dis-je, risque de conflit entre
l’obéissance absolue due au pape et l’obéissance de cadavre due à leur
général ?
    — Le risque, dit gravement Arnauld, n’existe pas pour
le moment présent, le pape ayant été élu sous la très pressante influence de
Philippe II.
    — Adonc, Monsieur mon Maître, dis-je, poursuivons. Vous
opinez que les jésuites sont le principal instrument de la domination de Philippe II
en France.
    — En France et en Europe.
    — Pardonnez-moi, dis-je en levant un sourcil d’un air
de doute : comment le prouvez-vous ?
    —  Primo, dit Arnauld, par la part très
conséquente qu’ont prise les jésuites dans la rébellion des Français contre le pouvoir
royal.
    — Ha, dis-je, tous ceux qui en France se sont dits
ligueurs n’étaient pas de la même farine ; les Grands, comme Guise,
Mayenne et Nemours n’avaient en vue que la couronne de France, d’autres, qui ne
voulaient pas d’un roi huguenot, se rallièrent à lui dès le premier jour de sa
conversion. D’autres, enfin, se donnèrent à Sa Majesté, dès qu’il eut pris
Paris.
    — Mais, dit Arnauld, les jésuites, eux, soutinrent la
fraction la plus dure, la plus extrême et la plus inflexible de la Ligue :
les Seize.
    —  Comment, derechef, le prouvez-vous ?
    — Par cette circonstance, dit Arnauld, que les
conciliabules les plus secrets des Seize se tenaient non point à l’hôtel
de ville que pourtant ils occupaient, mais dans une salle du collège de
Clermont, rue Saint-Jacques, et en présence du recteur des jésuites. En votre
opinion, Monsieur le Marquis, poursuivit rhétoriquement Arnauld en ouvrant
largement les bras, laquelle des deux parties influençait l’autre ?
    — Les jésuites, dis-je. Cela va de soi, les Seize étant
un ramassis de trublions grossiers et ignares.
    — Et d’autant que les jésuites avaient formulé et
répandu une théologie, selon laquelle il était loisible aux sujets de tuer leur
roi, dès lors qu’on le pouvait considérer comme un tyran ou que le pape l’avait
excommunié. Voyez-vous qui cela vise ?
    — Les princes luthériens d’Allemagne, le prince
d’Orange, dit le Taciturne. La reine d’Angleterre, Elizabeth. Henri Troisième
après le meurtre du cardinal de Guise, et combien qu’il fût catholique. Et
notre présent roi, hélas.
    — Or, reprit Arnauld, voyez comment la théologie
nouvelle des jésuites sur le régicide trouva miraculeusement dans les faits son
application. Le 11 juillet 1584 – mais vous savez cela aussi bien que
moi –, un nommé Balthazar Gérard tue à Delft le prince d’Orange d’un coup
de pistolet. Ce Gérard avait été fort encouragé dans sa criminelle entreprise
par un jésuite encontré par lui à Trêves. La même année un gentilhomme anglais,
William Parry, sous l’influence du jésuite Codreto, conspira contre la vie de
la reine Elizabeth. Deux ans plus tard, Babington dressa une nouvelle embûche
contre la reine Elizabeth : conspiration animée et inspirée par le jésuite
Ballard, lequel est arrêté, mis en geôle et dépêché. En 1589, Henri Troisième à
Saint-Cloud est tué d’un coup de couteau.
    — Mais par un jacobin, dis-je, et non point par un
jésuite.
    — Signe, dit Arnauld, que leur théologie sur la
légitimité du régicide avait inspiré des émules. En revanche, dans
l’attentement de meurtrerie contre Henri Quatrième par Barrière nous retrouvons
un jésuite, qui fut exécuté en effigie. En ai-je dit assez, Monsieur le
Marquis, poursuivit Arnauld d’une voix forte, pour vous persuader que la
jésuiterie est une boutique de Satan où se sont forgés tous les assassinats qui
ont été attentés depuis

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