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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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tempête parut s’apaiser dans un
soulagement général, et pour moi, voyant que Pierre de Lugoli emmenait son
prisonnier, je résolus de le suivre, y ayant davantage à glaner pour ma
mission, à ce que je supputais, dans le premier interrogatoire du malheureux,
qu’à demeurer au Louvre.
    Je suivis Lugoli d’assez loin, de prime, ne sachant si dans
des occasions secrètes, il me voulait à son côté, mais m’ayant espinché du coin
de l’œil, il me dépêcha une mouche pour me dire d’avoir à me rendre chez lui et
là, ayant revêtu ma déguisure de sergent de la prévôté, de le rejoindre avec
ladite mouche à la Bastille, où, sur son ordre, on me donnerait l’entrant et
que je ne courusse point, pour ce qu’il baillerait vin et pain au prisonnier
devant que l’interroger.
    Ce qu’il fit, en effet, quelques instants plus tard, mais
sans déploiement de force, ni de tourments, ni de menaces, mais d’un ton doux
et quasi affectionné, ayant jugé, j’imagine, que Jean Chatel répondrait mieux
si on lui montrait quelque compassion – laquelle, de reste, j’en jurerais,
n’était pas chez Lugoli que calcul, le galapian était si jeune et si frêle, et
ayant tant de pâtiments à traverser, et des plus atroces, avant de toucher au
repos de la mort.
    Voici cet interrogatoire, lequel je transcris à partir de
notes que, de retour au logis, je dictai à M. de La Surie qui
consentit, à cette occasion, à reprendre auprès de moi son ancien état de
secrétaire, pour la raison qu’il écrit plus vite que moi.
    Ayant quis du prisonnier de prononcer le serment de ne dire
que le vrai – ce que Chatel fit avec docilité –, il lui demanda de
prime d’un ton pressant :
    — Tu m’as dit au Louvre que le couteau n’était pas
empoisonné. Est-ce vrai ?
    — C’est vrai. C’est un couteau duquel on se sert en la
maison de mon père pour découper les viandes, et je l’ai pris sur le dressoir
de la grand’salle, l’ayant caché dans la manche de mon pourpoint, entre chemise
et peau.
    — Où pensais-tu frapper le roi ?
    — À la gorge.
    — Pourquoi ?
    — Pour ce que le roi étant fort vêtu en raison de la
froidure du temps, je craignais que, si je le frappais au corps, le couteau
rebouchât.
    — Avais-tu jà vu le roi avant ce soir ?
    — Nenni. Mais je me trouvai rue de l’Autruche à son
retour de Picardie, et le peuple dans la rue criant « vive le roi »,
j’ai demandé à un guillaume lequel de ces hauts seigneurs était le roi, il m’a
dit que c’était celui qui portait des gants fourrés. Je l’ai alors suivi dedans
le Louvre.
    — Sans que personne t’en interdît l’entrant ?
    — Personne. Le guichet était grand ouvert et la presse,
fort grande.
    — Comment se fait-il que tu voulais tuer un homme que
tu n’avais même jamais vu ?
    — Je n’avais assurément pas le choix. J’étais assuré
d’être damné comme l’Antéchrist, si je ne le faisais pas.
    — Comment cela ? dit Lugoli, sur la franche face
duquel se peignait la stupéfaction la plus vive.
    Ici Jean Chatel s’accoisa fort longtemps et Lugoli attendant
patiemment qu’il répondît sans le brusquer ni le contraindre en aucune guise,
j’eus tout le loisir d’envisager le malheureux galapian, et observant son œil
de biche roulant, effrayé, dans ses paupières, sa lèvre puissante, son corps
transi par de soudaines terreurs, j’augurai par la seule physionomie et
inspection de sa personne que c’était là un petit être infiniment peureux,
déquiété, exagité, mélanconique, trémulant comme feuille de peuplier à la
moindre bise.
    — Parle, fils, dit Lugoli doucement.
    — Monsieur le Prévôt, dit Jean Chatel d’une voix
éteinte et fichant l’œil à terre d’un air désespéré, je me trouve d’avoir
commis d’aucuns péchés abominables et contre nature. Et qui pis est, questionné
par mon confesseur, j’ai nié faussement le fait. Tant est que mes confessions
et communions étant elles-mêmes autant de péchés mortels, je suis certain
d’être damné.
    — Mais en quoi cela concerne-t-il le roi ?
    — En ceci : dans la désespérance où me jeta le
pensement de ma damnation, l’idée me vint de commettre un acte signalé qui
serait grandement utile à la Sainte Église Catholique. Je raisonnai que je
serais davantage puni dans l’au-delà, si je mourais sans avoir attenté de tuer
le roi, et que je le serais moins si je faisais l’effort de lui ôter

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