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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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son
passage, je le suivis jusque dedans son Louvre, où personne, en raison se peut
de la nuit, des lumières incertaines, du tohu-vabohu, ne me demanda qui
j’étais. Tant est que je pénétrai à sa suite jusque dedans une des grandes
chambres du Louvre et travaillai à me rapprocher de lui, ce qui n’était point
facile, la presse des gentilshommes à ses alentours étant si grande. Jouant des
coudes et de la hanche, je n’apercevais le roi que par moments et par-dessus le
moutonnement des têtes et des épaules. Toutefois dans un soudain remous qui se
fit en cette marée, je le vis de pié, ayant encore ses grandes bottes, et aux
mains des gants fourrés (car ce mois de décembre était fort froid) et se
gaussant avec Mathurine sa folle – petite drola contrefaite, mais
de beaucoup d’esprit – qu’il affectait en riant de pastisser. Mais luttant
toujours pour le rejoindre, non sans quelques bourrades qui-cy qui-là, et
baillées, et reçues, je vis MM. de Ragny et de Montigny s’approcher
du roi et se mettre à genoux pour lui baiser les mains, et le roi se baisser
avec sa coutumière condescension pour les relever. Ce faisant, il disparut à ma
vue, et quand il reparut une seconde plus tard, sa lèvre du côté droit
saignait. Le roi porta la main à ladite lèvre, et la retirant pleine de sang,
il s’écria, s’adressant à Mathurine :
    — Au diable soit la folle ! Elle m’a blessé !
    — Nenni, Sire ! Ce n’est pas moi !
    Il y eut alors une grande confusion et une grande commotion
parmi ceux qui étaient là à voir tout soudain la face du roi toute chaffourrée de
sang, d’aucuns criant, d’autres muets et fort pâles comme
M. de Rosny, mais tous transis de frayeur et comme cloués sur place.
Si l’assassin alors, ayant laissé à terre son couteau – ce qu’il
fit – était demeuré comme tous immobile – ce qu’il ne fit pas –,
il eût peut-être réchappé. Mais il voulut s’ensauver, et sa précipitation à
saillir hors le perdit. Il fut agrippé à deux pas de la porte par Pierre de
Lugoli qui, voyant sa hâte et son trouble, l’interrogea, quit de lui son nom et
sa qualité, et encore qu’il niât de prime, le convainquit de l’attentement.
    Je vis fort bien le misérable. C’était un galapian qui
n’avait pas vingt ans, petit, frêle, estéquit, les lèvres rouges, fort bien
vêtu, point vilain du tout, mais, à mon sentiment, gibier de bougre plutôt que
de femme. Pressé de questions par Lugoli, il dit, l’œil baissé et la voix basse
et trémulente, qu’il se nommait Jean Chatel et qu’il était fils d’un
marchand-drapier.
    Cependant, le médecin du roi, ayant examiné la navrure, la
déclara de nulle gravité, Sa Majesté n’ayant que la lèvre du haut offensée
et un peu d’une dent rompue, laquelle dent avait arrêté le couteau. On se
rassura mais dans ce rassurement même se nichait une frayeur, car il était
clair que l’assassin, croyant que le roi avait sous son pourpoint une chemise
de mailles, avait visé la gorge – ce qu’il avoua dans la suite – et
qu’il ne l’avait pas atteinte, pour la bonne raison qu’au moment où il portait
le coup, le roi s’était baissé pour relever Ragny et Montigny se génuflexant
devant lui.
    Cependant, les gentilshommes présents ne disaient que peu de
paroles, ne sachant pas s’ils devaient se réjouir de voir le roi sauf, ou
s’effrayer d’avoir failli le perdre. Mais ce demi-silence se changea tout
soudain en silence d’une autre sorte quand Jean Chatel confessa à Pierre de
Lugoli, qu’il avait été étudier les trois ans écoulés chez les jésuites.
J’observais alors que tant plus cet accoisement général se prolongeait, tant
plus il devenait menaçant, tant est qu’on n’encontrait partout que regards
enflammés, dents serrées, mains crispées sur la poignée des dagues. Et lecteur,
que crois-tu que fit le roi au milieu de cette montante ire ? Il gaussa.
Et encore que sa lèvre du haut dut lui faire mal quand il parla, il dit d’un
ton fort calme et quasi sur le ton de la plaisanterie, mais d’une plaisanterie
qui ne laissait aucun doute sur ce qu’il pensait :
    — Ce n’était donc pas assez que par la bouche de tant
de gens de bien les jésuites fussent réputés ne m’aimer pas. Fallait-il encore
qu’ils en fussent convaincus par ma bouche ?…
     
     
    Quand le roi eut prononcé ces paroles tout ensemble si
pleines d’esprit et si lourdes de sens, la

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