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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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vous que la fouille se poursuive sans moi et en
votre présence ! Je cours porter ceci, qui vaut tous les rubis du monde,
au président de Thou pour qu’il aveugle de sa lumière les sottards qui ont voté
la surséance.
    Il fut hors en un battement de cil, me laissant tout étonné
d’un si abrupt départir, et quelque peu embarrassé aussi, car je n’avais aucun
titre à poursuivre cette fouille, n’étant là qu’à titre de témoin clandestin et
sous l’aile du prévôt. Toutefois, observant que les sergents qui participaient
à cette recherche me traitaient, du fait de ma familiarité avec Lugoli, avec
quelque respect, je décidai d’assumer sur eux l’autorité qu’ils me reconnaissaient
et, les répartissant dans les cellules qui restaient à examiner, je retraçai
mes pas jusqu’à celle du père Guignard et m’y enfermai.
    Je dis mal en parlant de cellule, ce mot faisant penser à
celle d’un moine. Il faudrait plutôt parler ici de chambrette, simple, mais non
dénudée, et dont je me serais bien contenté en mes années d’écolier en l’École
de médecine de Montpellier. J’y trouvai même une viole, bon nombre de livres,
d’aucuns profanes (dont l’Art d’aimer d’Ovide), un lutrin, deux épées
dont l’une mouchetée pour l’exercitation, une soutane neuve, et à côté, un
pourpoint et des chausses (preuve que le bon père se réduisait à l’état laïc
pour d’aucunes de ses missions), une rangée de pipes à un râtelier, et une
raquette pour le jeu de paume. Et sur le tout, méticuleusement ordonné,
flottait une curieuse odeur que je ne saurais définir qu’en disant qu’elle
paraît particulière aux chambres de prêtres.
    Je dois confesser que, maugré toutes les raisons que j’avais
de n’aimer point le père Guignard, et privées et publiques, je ressentis à cet
instant quelque compassion pour le sort qui l’attendait, car c’était crime au
premier chef que d’avoir conservé des écrits si damnables, le décret d’amnistie
d’Henri lui ayant fait une obligation de les détruire, si même ils avaient été
couchés sur le papier avant l’entrée du roi en sa capitale. Et s’ils avaient
été rédigés après, quelle haine cuite, recuite et rebouillie se lisait dans ces
lignes à l’égard d’un souverain qui, par son silence au moment du procès des
jésuites, avait jusques ores épargné le bannissement à son Ordre.
    Assurément, l’avocat du diable eût pu soutenir, non sans
quelque raison, que le père Guignard était lui-même la première victime du
façonnement fanatique qu’il avait subi, lequel, obscurcissant en lui les
notions de Bien et de Mal, l’avait amené à penser que pour servir Dieu (selon
les étroites lumières de sa compagnie) il était licite de passer outre au
« tu ne tueras point » du décalogue ! Formation qui, au surplus,
l’avait mis au-dessus et à part des lois du royaume où il était né, le
déracinant et le défrancisant pour faire de lui le serviteur zélé et sans
conscience d’un souverain étranger.
    Mais n’est-ce pas, lecteur, le sort commun et ne devons-nous
pas tous porter la personnelle responsabilité de ce que nous sommes, étant
constant que si même nous pouvons plaider qu’il n’y va pas de notre faute,
c’est toutefois une faute en nous ?
    Ce fut là mon pensement, tandis que je prenais un à un les
livres de Guignard sur l’étagère qui les portait et en considérais les titres,
non point tant pour découvrir quelque chose de damnable, les feuillets que
Pierre de Lugoli à’steure courait apporter au président de Thou y étant
suffisants (et au-delà), mais parce que j’étais curieux de l’homme qui les
avait lus. Et c’est là, parmi eux, que je découvris, relié en veau comme les
autres, un livre qui m’intrigua de prime pour ce qu’il n’était pas imprimé,
mais écrit à la main, cette main étant la même que celle des feuillets qui
allaient faire condamner le père Guignard et avec un titre écrit – pour la
beauté, je gage – en lettres gothiques et qui m’intrigua fort :
     
    Le
Livre de Vie
     
    Ce qui me donna à penser que c’était là, se peut, quelque
méditation théologique sur la vie et la mort. Mais que nenni, lecteur !
Loin de là ! Il s’agissait d’une chose beaucoup moins anodine : d’un
compendium, selon une suite chronologique, de toutes les connaissances sur les
personnes vivantes de la Cour que Guignard avait acquises en les

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