La pique du jour
interroger ?
— En interrogeant leurs cellules et leurs papiers.
Savez-vous le latin, Monsieur de Siorac ?
— Passablement bien.
— Et moi, passablement mal. Vous m’allez donc être d’un
grand secours, si la tâche vous agrée.
Ha ! lecteur ! Si elle m’agréait ! J’eusse
vidé mon escarcelle jusqu’au dernier sol pour être admis à l’émerveillable
privilège de me fourrer aux papiers de ces gens-là !
Toutefois, quant à la cellule du père Guéret, que nous
suspicionnions de prime, tant parce qu’il était parmi ces jésuites une sorte de
prieur ou d’abbé, que parce qu’il avait enseigné à Jean Chatel la philosophie
que l’on sait, nous ne trouvâmes rien qui pût l’incriminer, et rien non plus
dans les dix suivantes que deux sergents de la prévôté et Lugoli lui-même
examinèrent fort en conscience, sans que j’y misse la main, pour ce qu’il y
faut une dextérité que je ne possède point et qui, de reste, n’entre pas dans
mon personnage.
— Lugoli, dis-je en le tirant à part. Si nous n’avons
rien trouvé chez le colonel, il n’est pas à espérer qu’on trouve provende chez
les soldats. Mais se peut qu’on soit plus heureux avec le capitaine.
— Et qui appelez-vous ainsi ?
— Le père Guignard.
— Qui est le père Guignard ?
— Le père qui ici même nous conta cette belle histoire
du rubis de la Couronne acheté par charité – mais au quart de sa
valeur – à une veuve chargée d’enfants et dans le besoin tombée…
— Et qu’est-ce qui vous fait penser que Guignard est
parmi eux une sorte de capitaine ? dit Lugoli, cédant à son invétérée
habitude des interrogatoires.
— L’impudence de cette fable. L’audace du personnage.
Le fait qu’il a attenté de peser sur Catherine de Guise, dont il est le
confesseur, pour retarder le raccommodement du roi et du petit Guise.
— Eh bien ! dit Lugoli, si telle est la bête,
voyons son antre !
Et l’antre, en effet, ne nous déçut pas, car c’est là, et
dans un tiroir qui n’avait rien de secret, que nous trouvâmes ce que nous
cherchions, non pas même écrit en latin, mais en français et en bon français.
Car ce Guignard possédait une sorte de talent pour le style et dont sans doute
aussi, il avait la faiblesse de se paonner, puisqu’il avait jeté par écrit ce
que les autres pères s’étaient contentés de penser et de dire.
Voici cet ours, et le lecteur conviendra qu’il est assez
bien léché, encore qu’il soit pestiféré et pernicieux.
1 – Et premièrement que si en l’an 1572, au jour de la
Saint-Barthélemy on eût saigné la veine basilique (c’est-à-dire royale :
Guignard désignant par là Condé et Henri de Navarre que Charles IX et
Catherine épargnèrent, quoiqu’ils fussent huguenots, parce qu’ils étaient
princes du sang) nous ne fussions pas tombés de fièvre en chaud mal comme nous
avons expérimenté. Pour avoir pardonné au sang, ils (Charles IX et Catherine de
Médicis) ont mis la France à feu et à sang.
2 – Que le Néron cruel (Henri III) a été tué par
un Clément et le moine simulé (allusion à la dévotion d’Henri III) dépêché
par la main d’un vrai moine.
3 – Appellerons-nous rois un Néron Sardanapale de
France (allusion aux débauches d’Henri III), un renard de Béarn, un lion
du Portugal, une louve d’Angleterre, un griffon de Suède et un pourceau de
Saxe ? (Il s’agit ici de tous les souverains d’Europe que Philippe II
d’Espagne tenait pour ses ennemis, je passe ici les points 4, 5 et 6 qui
multiplient les offenses à l’égard de Henri III et exaltent son assassin.
Et je reprends au point 7.)
7 – Que la Couronne de France pouvait et devait être
transférée en une autre famille que celle des Bourbons.
8 – Que le Béarnais, ores que converti à la foi
catholique, serait traité plus doucement qu’il ne méritait, si on lui donnait
la couronne monacale en quelque couvent, pour illic faire pénitence de
tant de maux qu’il a faits à la France.
9 – Que si on ne le peut déposer sans guerre, qu’on
guerroie ! Que si on ne peut faire la guerre, qu’on le fasse mourir !
— Vive Dieu ! s’écria Lugoli en brandissant ce
feuillet au bout de son bras triomphant, la fortune nous a souri ! Mon
ami ! mon ami ! Nous touchons au but ! Ce morceau d’éloquence a
deux noms : la mort pour son auteur et l’exil pour sa compagnie !
Monsieur de Siorac, plaise à
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