La pique du jour
la vie.
J’estimais, en effet, que la moindre peine serait une sorte de salut en
comparaison de la plus griève.
— Voilà une théologie toute nouvelle, dit Lugoli. Où
l’as-tu apprise ?
— Je l’ai apprise par la philosophie, dit Chatel avec
une tranquille conviction.
— Et où as-tu appris cette philosophie ?
— Au collège de Clermont sous le père Guéret.
Oyant quoi, Lugoli et moi échangeâmes des regards acérés, et
j’observai que Pierre de Lugoli faisait une pause pour permettre au greffier de
transcrire tout au long cette remarquable réponse. Pendant que le greffier
était ainsi occupé, je m’approchai de Lugoli et lui dis à l’oreille :
— Demandez-lui s’il a été serré au collège de Clermont
dans la chambre des méditations ?
— Chatel, reprit Lugoli, as-tu été, au collège de
Clermont, serré dans la chambre des méditations ?
— Hélas oui ! dit Chatel en tressaillant
violemment. Et j’y ai vu plusieurs diables de diverses figures épouvantables et
qui menaçaient de me saisir et de m’emporter.
— Comment se fait-il qu’on t’enfermait là-dedans si
souvent ?
— Pour ce que j’avais, comme j’ai dit, commis des
péchés abominables et contre nature et faussement nié en confession les avoir
commis.
— Quels étaient ces péchés ?
— La bougrerie et l’inceste, dit Chatel de sa voix
entrecoupée, et les pleurs ruisselant sur sa face. Mais l’inceste seulement en
intention.
— Avec qui ?
— Avec ma sœur.
— Est-ce dans la chambre des méditations que l’idée
t’est venue de tuer le roi ?
— Je ne sais. J’étais trop terrifié pour penser.
— Par qui, à la parfin, dit Lugoli, as-tu été persuadé
de tuer le roi ?
— J’ai entendu dire en plusieurs lieux qu’il fallait
tenir pour maxime véritable qu’il était loisible de tuer le roi, puisqu’il
était hérétique, relaps, faussement converti, et excommunié.
— Est-ce que ces propos de tuer le roi ne sont pas
ordinaires aux jésuites ?
— Je leur ai ouï dire qu’il était loisible de tuer le
roi.
— Pourquoi ?
— Pour ce qu’il était hors l’Église. Raison pour quoi
il ne fallait pas lui obéir, ni le tenir pour roi, tant qu’il ne serait pas absous
par le pape, et que de reste, il ne le serait jamais.
On toqua à l’huis et un coureur remit à Lugoli un ordre du
parlement d’avoir à conduire le prisonnier à la conciergerie du Palais afin d’y
être interrogé par ces messieurs de la Cour. Lugoli, incontinent, commanda à
son greffier de faire une copie de l’interrogatoire, afin que celui-ci fût
remis au juge par le lieutenant en même temps que Jean Chatel. Puis me prenant
à part, il me dit sotto voce :
— J’ai fait arrêter les jésuites dès que j’ai
su, au Louvre, que Chatel avait étudié sous eux. Et je vais tout de gob me
rendre au collège de Clermont. Venez-vous ? C’est bien le tour de ces
grands confesseurs d’être confessés.
— Quoi ? lui dis-je sur le chemin, les allez-vous
interroger ?
— Sans un ordre du parlement je ne peux. Ils ne sont
que suspects. Et de reste, ne sais-je pas bien que je ne tirerais rien d’eux
que grimaces, bouches cousues, yeux au ciel, soupirs à cœur fendre, mines de
martyrs : « Est-ce leur faute, si ce malheureux enfant avait l’esprit
quelque peu déréglé ? »… Etc.
— De reste, c’est vrai, dis-je. Mais avec cette clause
que ce dérèglement, il ne le doit qu’à eux. Il faudrait une cervelle plus
solide que celle de ce petit galapian pour résister à cette grande moulerie des
méninges à laquelle on l’a soumis et dans la classe du père Guéret, et dans la
chambre des méditations. Dieu bon ! J’enrage qu’on l’ait persuadé qu’il
serait à jamais damné pour quelque bougrerie qu’il n’a pas osé confesser !
Après cela, ce ne fut que jeu d’enfant, terrifié comme il l’était, de lui
suggérer qu’il se rachèterait en faisant un « acte signalé » qui
servirait la Sainte Église !
— Lui suggérer, mais non le lui dire ! dit Lugoli,
les dents serrées. C’est là où la jésuiterie est adroite ! On ne lui a pas
dit « deux et deux font quatre » ; on lui a laissé mire
l’addition. Et nos bons pères, eux, sont blancs comme neige !
— Mais Lugoli, dis-je, comme nous advenions à l’entrée
de la rue Saint-Jacques, comment pourrez-vous confesser les jésuites, si vous
n’avez pas licence de les
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