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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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aux alentours du 23 mars, pour ce que je me fis dans la
suite la réflexion qu’entre le jour où j’échappai de peu aux dents de la mort
et le retour à Rome de Giovanni Francesco, le 16 avril, trois petites
semaines s’étaient écoulées. Et je suis dans tous les cas très assuré que ce
fut un mardi pour la raison que la nuit du mardi, comme celle du vendredi, était
consacrée aux délices que le lecteur connaît. Tant est que ce matin-là, me
ramentevant, à me déclore de mon sommeil, que nous étions un mardi, le monde
m’apparut tout soudain plus frais et plus lumineux, et je sautai hors ma coite,
bondissant comme un poulain au pré.
    Toutefois, je ne faillis pas à mes coutumières exercitations
d’escrime et de traduction italienne, mais j’y laissai vagabonder mon esprit,
ce qui ébaudit prou Fra Filippo, lequel n’était pas sans en deviner la cause,
et me fit là-dessus quelques petites gausseries, mais bien au rebours, aggrava
prou le maître en fait d’armes Andréa Di Giorgio :
    —  Signor Marchese, me dit-il, m’envisageant du
haut de sa haute, maigre et flexible taille, vous n’êtes point à ce que vous
faites. Au lieu de parer ma pointe, vous l’avez évitée d’un retrait du corps,
ce qui est fâcheuse, malgracieuse et damnable pratique, fort abhorrée des
meilleurs maîtres.
    —  Maestro, dis-je, je vais tâcher d’être présent
davantage. Je vous fais toutes mes excusations.
    Mais ces excusations n’assouagèrent pas Andréa di Giorgio
dont les yeux noirs, profondément enfoncés dans sa face ascétique, brûlaient du
plus dévotieux des zèles.
    —  Signor Marchese, dit-il gravement en abaissant
sa lame, il en est du noble jeu de l’épée comme de la messe pour le
prêtre : il vaut mieux ne pas la dire que d’y porter un esprit absent.
    —  Maestro, dis-je en le saluant, je suis tout à
vous.
    Mais encore que le reste de l’assaut se passât de mon côté,
sans « retrait damnable du corps », Andréa di Giorgio me quitta, à la
terminaison de la leçon, le sourcil levé et la mine amère, mon hérésie lui
pesant encore sur le cœur.
    Pissebœuf, lui, n’avait pas cette vue sacramentelle de son
chamaillis d’estoc avec mes pages, et outre que tous coups et parades lui
parussent bons s’ils réussissaient, sa remontrance était gaillarde, gaussante
et goguelue :
    — Thierry, huchait-il, à ton âge et léger comme plume
que tu es, la meilleure parade est de rompre, cornedebœuf ! À peu que mon
estoc ne t’ait enfilé le guilleris et navré les bourses !
    Lequel huchement le très vilain chien jaune que j’ai dit, et
que mes pages appelaient Tibère, accompagnait en aboyant comme fol, et encore
que je l’aimasse assez (maugré qu’il m’eût mis une botte en pièces), sa noise
me fut si insufférable que j’abandonnai la place, et m’en fus chercher refuge,
loin de cette vacarme, dans ma cuve à baigner, où le gros Poussevent me vint
raser les poils hors collier, tout en m’abreuvant des fruits de sa sagesse.
    — Ma fé, monsieur le Marquis ! dit-il avec son
terrible accent d’oc, je ne croirais jamais que c’est usance saine que de
baigner soi si souvent que vous faites, au grand dol de votre peau qui ne fait
que s’amollir au risque de laisser entrer toutes les infections de l’air.
    — Mon Poussevent, dis-je, le grand maître Ambroise Paré
te donne tort, lequel tenait les quotidiennes ablutions pour bénéfiques et
rebiscoulantes.
    — Avec votre permission, monsieur le Marquis, dit
Poussevent en tirant un soupir de sa vaste bedondaine, je ne croirai jamais que
l’eau soit bonne, ni au-dehors ni au-dedans. En outre, j’ai ouï dire dans le
plat pays gascon qu’il était disconvenable à quelqu’un de bon lieu de se tant
laver, un gentilhomme se devant d’avoir l’aisselle surette et les pieds
fumants. Et de reste, à quoi reconnaît-on l’approche de notre bon roi
Henri ? À son fumet !…
    À quoi je ris à gueule bec, ne voulant débattre davantage,
l’exemple venant de si haut. Et Poussevent ayant fini de me faire le poil, je
saillis hors, jetai mon peignoir de bain dessus l’épaule et gagnai la grand-salle,
où je vis Pissebœuf poser sur la table ma creuse écuelle contenant un bouillon,
ou plutôt une grosse soupasse, le pain y étant mêlé. Toutefois, comme elle
était fumante, et que je n’aime point m’ébouillanter le gargamel, j’allai de
prime me chauffer devant un beau feu cramant (ce mois de mars à

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