La pique du jour
inlassablement, de ses
cendres – je m’avisai que je l’avais vue plus de dix fois, avant que de
s’aller avec moi coucher, ôter cette petite médaille de son col, la baiser et
la bailler à la mamma, mais sans que j’eusse jamais soupçonné le sens de ce
rite, par lequel, je l’entendais enfin ce soir-là, elle se dévêtait de son
catholicisme pour redevenir païenne l’espace d’une nuit.
Tout désoccupé et tout inutile que je me sentisse, sans
nouvelles de l’abbé d’Ossat, du cardinal Giustiniani et même de Fogacer, et les
négociations, comme j’ai dit, étant prises dans les glaces depuis le départir
de Giovanni Francesco, je m’étais mis à quelque peine pour me rendre plus
sufférable mon farniente romain par une conduite réglée de mes jours.
Je me levais sur le coup de sept heures et, après avoir bu
et glouti quoique sobrement assez, je m’appliquais pendant une grosse heure à
l’escrime avec le maître en fait d’armes Andréa di Giorgio (disciple du fameux
Agrippa…), lequel avait condescendu à m’accepter pour élève sur le bruit que
Giacomi avait été mon maître et beau-frère et légué la botte secrète de Jarnac
que, depuis le décès dudit, j’étais le seul au monde à posséder.
Après mes assauts avec Andréa, j’allais observer – mais
sans m’y mêler que du bout de la langue – les leçons de taille et d’estoc
que Pissebœuf donnait à Luc et Thierry : chamaillis simple et fruste où
mon arquebusier excellait et qui est bien la seule escrime qui soit de quelque utilité
au combat. Après quoi, je gagnais ma cuve à baigner, où je me délassais dans
une eau chaude et claire, laquelle, la Dieu merci, n’était pas celle du Tibre,
mais de mon puits. Pendant que j’y étais assis, Poussevent, avec cette
incrédible légèreté de main qu’on voit souvent aux gros hommes, me taillait mon
collier de barbe en rasant fort précisément les poils qui en étaient exclus.
Sur le coup de neuf heures, Fra Filippo, moine fort instruit
et mon régent ès langue et belles lettres italiennes, survenait avec la précision
d’une horloge de Grégoire XIII, et traduisait avec moi le Décaméron de
Boccace, ouvrage dont on pouvait, disait-il, « déplorer la
frivolité », mais que le bon moine tenait pour la source la plus pure de
la prose italienne. Après la traduction, il me posait des questions
ébaudissantes assez sur le conte que nous venions de traduire – car le Fra
était d’humeur enjouée et gaussante – et corrigeait la grammaire de mes
réponses, touchant le plus souvent cette épine dans mon pié : la conjugaison
des verbes italiens.
À dix heures, j’avalais un bouillon de légumes que mon
cuisinier florentin avait composé tout particulièrement pour moi ;
j’écrivais une longue lettre à Teresa et après un tour au jardin, le temps le
permettant, je revenais m’asseoir à la même table pour une repue plus
substantifique, mais cette fois Pissebœuf nous servant à table, et en compagnie
de Luc et de Thierry, qu’en l’absence de La Surie j’avais admis à cet
honneur, leur ayant baillé pardon après qu’ils furent venus le quérir de moi à
genoux et versant des larmes grosses comme des pois, tant leur longue disgrâce
et mon long déplaisir les avaient affligés. Je me ramentois à ce jour que je
leur appris à se servir d’une fourchette, pratique qui était tout à plein
déconnue de leurs parents, tout grands seigneurs qu’ils fussent.
Après cette repue, je me retirais dans ma chambre, pour
lire. Et mon Montaigne, hélas, se trouvant encore dans les mains de la douane
papale, je lisais, non sans recourir qui-cy qui-là au dictionnaire, l’ Orlando
Furioso d’Ariosto, m’émerveillant de la façon tant fine que légère avec
laquelle cet écrivain raffiné jouait avec son sujet et, tout en l’aimant, s’en
gaussait, sans jamais en être l’esclave.
À trois heures, je commençais à m’attifurer et, belle
lectrice, je n’ai pas vergogne à confesser que cette toilette durait presque la
moitié de la vôtre, puisqu’il me fallait une grosse demi-heure avant que je
commandasse à mes pages de m’amener, tout sellé et empanaché, le plus beau de
mes chevaux. Déjà, quand j’apparaissais dans la cour, mon escorte était là, ses
montures piaffantes, encensantes, hennissantes et se toquant les croupes, mais
de prime je saillais à pié, et ce n’est qu’après que j’eus échangé quelques
mots avec celui
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