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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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Rome se
ressentant davantage de l’hiver que du printemps) et je vis là vautré le chien
Tibère, l’eau noirâtre dont son poil dégouttait salissant le marbre du sol.
    — Thierry ! Luc ! criai-je, très encoléré,
que fait là ce chien d’enfer ? N’ai-je pas défendu de l’admettre dedans la
maison ? Et n’y a-t-il pas de place assez pour lui dans les communs ?
    — Avec toutes mes excusations, monsieur le Marquis, dit
Luc en me faisant un gracieux salut (que Thierry répéta incontinent, cependant
sans déclore le bec, n’étant pas des deux l’orateur), mais durant que vous vous
baigniez, il a plu comme vache pisse et le Tibère, non content d’être
transpercé, se ventrouilla dans une flaque d’eau comme il fait toujours, le
résultat étant que nous l’avons trouvé sous le porche, trémulant comme feuille
de peuplier et quasi péri de froid.
    — Il fallait dès lors le mettre à l’écurie.
    — Où, hélas ! il n’y a pas de feu, dit Luc avec un
nouveau salut (imité par le muet Thierry).
    — Mais où, dis-je, il n’y a pas de dalle de marbre à
salir, mais de la bonne paille bien sèche où il s’eût pu rouler.
    — Monsieur le Marquis, dit Luc en faisant une mine fort
triste (que Thierry aussitôt contrefeignit), le faut-il ramener incontinent à
l’écurie ?
    — Oui-da, dis-je. Mais observant que le pauvre Tibère
grelottait de froid, et l’aimant assez, comme j’ai dit (maugré ma botte
dévorée), j’ajoutai : mais attendez qu’il soit sec.
    À quoi Luc et Thierry me firent de concert un troisième
salut, et avec un brillement affectionné de la prunelle, lequel me toucha
fort – jolis et vifs galapians qu’ils étaient de reste, flattant l’œil par
leur vêture prairiale et gaie, tous deux frisés en bouclettes, qui blondes qui
brunes mais point du tout agneaux pour cela, étant zizanieux et turbulents en
diable – toutefois, tous deux d’un bon métal, et par la vaillance et par
le cœur.
    Comme s’il eût entendu qu’il ne serait pas exclu de son
chaleureux paradis, Tibère remua la queue, et me dirigeant vers la soupasse que
j’ai dite, je trempai dedans le cuiller quand un fort toquement à l’huis
retentit par la maison. À vrai dire, je ne sais s’il était tant fort que meshui
je l’ois résonner dans ma remembrance, mais ayant dit à Luc de courre voir ce
qu’il en était, et entendant des éclats de voix et comme une sorte de querelle
à l’entrant, j’ajustai sur moi mon peignoir de bain et suivi de Thierry et de
Pissebœuf, marchai à l’huis derrière lequel j’ouïs Alfonso crier à voix
vibrante : Vorrei vedere il Signor Marchese ! Vorrei vedere il
Signor Marchese ! [82] et Luc lui disant à travers le judas
de prendre patience, que j’étais à mon bouillon, Alfonso hucha à gorge
déployée : Pazienza ! Pazienza ! La tua pazienza lo uccide [83]  !
    Fort intrigué, je dis à Luc de déclore l’huis sans tant
languir, sur quoi Alfonso irrupta dedans la maison, pâle comme un cierge, et
sans même me voir, courut jusqu’à la grand’salle (nous quatre sur les talons)
où s’arrêtant devant la table, il fit volte-face, m’aperçut, et tombant à
genoux, s’écria :
    —  Dio mio ! Dio mio ! Egli e
salvo [84]  !
    Et me prenant les mains, il les baisa l’une et l’autre.
    — Alfonso, dis-je, qu’est cela ?
    —  Signor Marchese, dit-il en se relevant, pâle
encore et l’œil quasi hors l’orbite, plaise à vous de me laisser vous parler à
l’oreille.
    Ce que lui ayant permis, je fus si béant de ce qu’il me
chuchota que j’en restai sans voix et les pieds comme collés au sol. Mais
sentant sur moi le regard étonné des pages, de Pissebœuf et de Poussevent,
lesquels venaient d’entrer, attirés par la vacarme, je repris mon vent et
haleine et dis :
    — Poussevent, va me chercher il cuoco [85] . Et vous autres, dès qu’il
adviendra portez œil et diligence à ce qui se dira et se fera céans.
    Ce cuoco était un Florentin du nom de Basilio que le
cardinal Giustiniani m’avait loué en même temps que son palais, et encore qu’il
cuisinât excellemment et fût fort poli avec mon domestique, je n’étais pas à
lui aussi affectionné qu’au reste de mes gens pour la raison qui, se peut,
paraîtra frivole à mon lecteur : je n’aime pas qu’un cuisinier soit
maigre. Or, Basilio l’était. Et au surplus, la mine triste, la crête basse, la
bouche amère, le coin de l’œil tombant et la

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