Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
qui « ornait » la borne de ma porte cochère, que Luc
m’amenait ma jument, sur laquelle je tenais à honneur de me hausser sans son
aide, ne m’aidant que de l’étrier.
    Le coup de quatre heures à Saint-Jean de Latran me trouvait
dans la rue de la pasticciera au moment où sa Djemila déclosait la
fenêtre de sa maîtresse et où celle-ci apparaissait, assise, en ses plus
magnifiques affiquets, objet de l’adoration de tout un peuple, déesse, à vrai
dire, par sa beauté et ses majestueuses proportions. Précédé de mes deux pages,
dont la vêture, semée de fleurs, était plus gaie et brillante qu’une prairie en
mai, et suivi de mon escorte, je poussais ma monture à travers la presse
jusqu’à la fenêtre de Teresa, bridais mon cheval, et dressé sur mes étriers,
lui ôtais mon chapeau, celui-ci voltigeant au bout de mes gants et dessinant
dans l’air un huit. Sur quoi, elle m’adressait, en même temps qu’un petit
brillement connivent de l’œil, ce souris ambigueux, mystérieux et charmant qui
m’a fait la comparer à Monna Lisa. Comparaison dont, à y penser plus outre, je
me repens un peu, craignant d’avoir donné une fausse impression au lecteur,
pour la raison que la Monna Lisa a quelque chose d’inquiétant et se peut de
maladif, alors que la pasticciera, bien au rebours, respirait la santé
et la force, étant beaucoup plus proche, en fait d’une Junon, par ses épaules
larges et pleines, son tétin rond, ferme et puissant et pour le corps, tout au
moins, ressemblant davantage qu’à Monna Lisa, à la « Jeune Femme à sa
toilette » du Titien.
    Après cette première bonnetade, je poussais jusqu’au bout de
la rue et revenant sur mes pas par une rue parallèle, je repassais devant
Teresa et cette fois, après lui avoir fait le même voltigeant salut, et reçu
d’elle derechef son coutumier et enivrant souris, je tirais de mon pourpoint
une lettre-missive – celle-là même que je lui venais d’écrire – et je
la lui montrais de loin. À quoi me faisant une inclinaison de tête des plus
gracieuses, et sans plus sourire, mais m’envisageant de ses beaux yeux tendres,
elle disait quelques mots à Djemila accroupie à ses piés, laquelle, saillant
hors, l’instant d’après, me prenait la lettre des mains et courait la lui
porter. Encore que la conjugaison de mes verbes fût fautive, Teresa était
raffolée de mes lettres, et je lui écrivais tous les jours, y compris ceux qui
ne se terminaient pas sans que je la visse.
    Au retour de cette ambulation et en ma maison revenu, je
m’enfermais dans une délicieuse petite salle tendue de velours rouge où le
cardinal Giustiniani, j’imagine, avait ses douillettes habitudes et là, ayant
fait allumer dans la cheminée un grand feu (la saison étant froidureuse
encore), je commençais à rédiger ces Mémoires que voilà, et persévérais dans
cette tâche les chandelles allumées et jusqu’à ce qu’il fût temps de souper. Le
premier volume, qui traite de mes maillots et enfances au château de Mespech en
Périgord fut écrit en son entièreté à Rome pendant cet hiver-là, où le temps
pesait si lourd sur mes épaules.
    Depuis que M. de La Surie était départi pour
Paris, Luc et Thierry ne recevaient plus le fouet pour leurs méfaits et, chose
digne de remarque, ceux-ci n’avaient pas augmenté, bien le rebours, tant ils
craignaient d’encourir de nouveau mon déplaisir. Je n’eus même pas à les tancer
prou pour leur débridée gaillardie, les pères, maris et frères italiens ayant
découragé leurs approches, le bâton à la main. Tant est qu’ils se trouvèrent, à
la parfin, satisfaits de se partager une veuve accorte qui avait le cœur
sensible. Le seul différend qui, beau temps mau temps, surgissait entre eux et
moi, touchait à un très vilain et très famélique petit chien jaune qu’ils
voulurent adopter, lequel étant trop vieux pour être dressé, courait qui-cy
qui-là dans la maison et, maugré les énormes pâtées dont il était nourri par
les pages, dévorait tout ce qui lui tombait sous le croc.
     
     
    Je ne me ramentois pas le jour exact du mois de mars où je
faillis disparaître à jamais de ce monde émerveillable de la chaleur et du
mouvement que seuls les vifs connaissent, et qui est bien le seul qu’ils
connaissent vraiment, car touchant les béatitudes éternelles, il faut bien
confesser que nous n’avons sur elles que de bien imprécises informations. Mais
je gage que ce fut

Weitere Kostenlose Bücher