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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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chancelier
Cheverny m’envisageant froidureusement et disant en toquant de deux doigts sur
la table :
    « — Monsieur, il y a beau temps que nous vous
attendons ! Et je vous ai envoyé deux fois un huissier ! Nous avons
reçu d’Amiens des lettres du roi qui ne chantent qu’argent et ne pleurent que
pécunes, et pourtant, vous que le roi croit si diligent à lui rechercher des
monnaies, vous voilà le dernier céans !
    « — Monsieur, dis-je quelque peu mutiné à ouïr ce
langage et à observer ce toquement de doigt sur la table – comme d’un
régent tançant un écolier –, quoique je sois le dernier céans, si n’y
suis-je pas le moins utile. J’ai fait des affaires ce matin pour soixante mille
écus.
    « — Qu’est cela ? dit
M. de Fresnes, nos affaires valent bien les vôtres ! Nous avons
vendu ce matin des offices pour soixante-quinze mille écus et tout en argent
comptant.
    « — Et quels sont ces offices, monsieur ?
dis-je.
    « — Ceux des généralités de Tours et d’Orléans,
dit alors le chancelier de Cheverny d’un ton tout à fait paonnant, desquels
nous avons trouvé bon d’accorder l’affermement au sieur Robin de Tours pour
ladite somme de soixante-quinze mille écus.
    « — Ho ! Ho ! Monsieur ! dis-je
alors en le regardant œil à œil. Je vois bien ce qu’il en est ! Que si
j’eusse accepté les gants, d’autres ne les eussent pas eus !… Mais
pour moi, s’agissant d’un siège si important pour la France où le roi risque
quotidiennement sa vie, ainsi que tant de bons Français, je pense qu’il ne faut
rien bailler à vil prix.
    « — Or bien, monsieur ! reprit le chancelier
Cheverny, en pâlissant quelque peu, que voulez-vous dire avec ces gants ?
    « — Je ne veux dire autre chose, monsieur, sinon
que j’avais jà refusé ce que ce Robin vous a offert, pour la raison que
j’espère vendre la totalité desdits offices pour une somme quasi presque le
double de ce qu’il offre.
    « — Mais ce n’est qu’une espérance ! dit
alors M. de Fresnes, acide comme un citron. Et ce n’est que trop
disputer. Il faut voir si le Conseil se tiendra à ce qu’il a décidé, ou si nous
laisserons changer notre arrêt par un particulier… »
    — À quoi, reprit Rosny, le particulier dont il était
question se leva, fit un large salut à ces Messieurs du Conseil, et tout de gob
se retira, les laissant tous béants. Et vous allez voir, Siorac, que l’on ne va
pas tarder à relancer l’ours dans sa tanière pour tenter de le plier. La vérité
est que le Conseil n’aime guère que je vende les offices sans passer par lui,
d’aucuns d’entre ces Messieurs voulant se graisser le poignet au passage, comme
ils ont fait toujours. Mais rien n’en vaut ! Le roi m’a confié ses
finances et pas un écu n’ira s’égarer dans une poche, ni un diamant sur la
grasse gorge d’une belle.
    Il achevait à peine quand son maggiordomo vint lui
annoncer le secrétaire Fayet.
    — Siorac, dit Rosny, plaise à vous de passer dans ce
petit cabinet en laissant la porte entrebâillée, afin que d’ouïr des deux
oreilles ce qui se dira céans.
    Le secrétaire Fayet que bien je connaissais était si frêle
qu’un souffle l’eût versé à terre, la face fort estéquite se rétrécissant triangulairement
vers le menton, le poil gris fort rare, tant sur ladite face que sur le crâne,
le nez long, mince et pointu, la voix aiguë, l’air chafouin et une curieuse
habitude de marcher les fesses serrées et les cuisses frottant l’une contre
l’autre comme s’il eût été escouillé. Ce qui n’était nullement le cas, le
gautier ayant engendré dix enfants par le moyen de trois successives épouses.
    — Monsieur de Rosny, dit-il de sa voix de fausset, le
Conseil du roi me dépêche à vous afin que vous signiez, comme les autres
membres du Conseil, les minutes de l’arrêt qui dévolue à Maître Robin
l’affermement des offices de Tours et d’Orléans.
    — Rien n’en vaut ! dit Rosny.
    — Comment, rien n’en vaut ? dit Fayet, l’œil
écarquillé et la bouche bée. Qu’est cela ? Qu’est cela ? Monsieur,
voulez-vous dire que vous ne signerez pas les minutes ?
    — Vous m’avez bien ouï.
    — Mais, Monsieur, l’arrêt ne saurait être valable si
vous ne le signez pas.
    — Il ne sera donc pas valable.
    — Monsieur, pardonnez-moi, mais vous violez les formes !
    — Adonc, je les viole.
    — Monsieur, que dira le

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