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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mon récit,
le temps que la remembrance vous en revienne.
    Je ne sais comment, après cette petite inquisition sur l’or,
on en revint, comme par une pente naturelle, sur le sujet de la beauté de M me  de Sourdis,
mais on y revint, à ce que je crois me souvenir, parce que les chandelles
advenant à ce moment-là, la belle voulut savoir si nous la voyions mieux
qu’auparavant.
    — Mieux, Madame ! Comment se pourrait-il ?
m’écriai-je. Étant jà si belle, le soleil lui-même ne vous embellirait
pas !
    Mais j’abrège, on devine la suite. Toutefois, quand M me  de Sourdis
eut lapé derechef tout ce lait (La Surie faisant chorus), la mignote me
dit, avançant la patte :
    — Marquis, est-ce véritablement bien commode de
travailler comme vous faites avec M. de Rosny ?
    — Passablement.
    — On dit qu’il est abrupt assez.
    — Je n’y contredirai pas.
    — Toutefois on vous tient à la Cour pour son intime
ami.
    À quoi je ris.
    — Pourquoi riez-vous ? dit-elle en levant un
sourcil.
    — Pour la raison que personne n’est l’ami de
M. de Rosny, sinon lui-même : M. de Rosny ne se
connaît pas d’égal.
    — Hé ! Hé ! dit-elle, voilà qui est bien
vu !
    — Cependant, je l’estime fort.
    — Qui ne l’estime ? dit-elle en reculant la patte.
Cependant, il est si roide !
    — Il l’est, mais en revanche, sa parole est d’or. Tant
promis, tant tenu.
    Cela, comme j’y comptais bien, ne faillit pas à faire rêver
notre jolie renarde, laquelle, je gage, se ramentut que Rosny avait promis au
secrétaire Fayet de ne rien dire au roi sur l’affaire des diamants. Toutefois,
encore que, tout en musant, elle ne cessât de boire et de gloutir comme quatre,
je vis bien à ses yeux troublés qu’elle était encore là-dessus en proie au
doute.
    — Je suis bien assurée, reprit-elle, revenant à moi,
que vos belles amies à la Cour vous ont voulu charger de quelques
lettres-missives, qui pour son mari, qui pour son amant.
    — Elles l’ont voulu et je l’ai noulu. Mes devoirs
propres me suffisent. Je ne désire pas remplacer la poste.
    — Hé quoi ! Si j’avais désiré vous confier une
lettre pour la marquise de Montceaux, ou M. de Rosny une lettre pour
le roi ?…
    — J’eusse refusé tout à plat, mais en ce qui vous
concerne, Madame, en y mettant des formes.
    — Hé, Monsieur ! dit-elle, voilà bien le bon de
votre nature : vous mettez des formes à tout et vous êtes, en outre, d’une
discrétion qui me ravit.
    — Discret, Madame ? Comment l’entendez-vous ?
    — Que personne n’a jamais su, à la Cour, quelle était
votre maîtresse.
    — C’est que cette maîtresse n’existe point : je
suis marié.
    — Et fidèle ? dit M me  de Sourdis.
Avec des yeux comme les vôtres ? À jamais dardés sur les dames ? Je
me suis laissé dire qu’à Rome…
    — À Rome, Madame, cela ne m’engageait pas.
    — Monsieur mon ami, me dit-elle avec une œillade assassine,
peux-je vous dire que plus je vous connais, plus je vous trouve accompli :
j’aime qu’un homme sache se taire sur les complaisances qu’on a pour lui, et
qu’il ne nous croie pas engagées à lui, au lendemain d’une faiblesse passagère…
    Ce tournant de la conversation ne me prit pas sans vert et
je vis bien que ma convive, pour lors, ne pensait plus à la mission, quelle
qu’elle fût, qu’elle s’était baillée, mais à elle-même.
    — Madame, repartis-je, entrant dans le jeu, vous êtes
un inestimable exemple tant pour votre sexe que pour le mien. Je trouve, moi
aussi, disconvenable, qu’on ne se puisse bailler en voyage quelques petites
commodités en n’ayant pas le bon goût de les oublier au matin. Combien plus
aimable serait la vie, si l’on pouvait, sur le chaud de l’instant, s’abandonner
à d’aimables appétits, sans pour autant remettre en question l’arrangement de
sa vie !
    — Hé, Monsieur ! dit M me  de Sourdis,
voilà qui est excellemment dit et vous ne sauriez croire combien je suis félice
que votre philosophie côtoie de si près la mienne.
    La Surie oyait ces propos sans dire mot ni miette, son
œil marron jetant quelque brillement, tandis que son œil bleu restait froid.
Cependant, comme la belle s’accoisait, se peut à contempler, en son for le
côtoiement de nos philosophies, il se leva en disant, avec un salut :
    — Madame, plaise à vous d’avoir la bonté de me bailler
mon congé. Je suis fort las et ma coite

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