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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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réflexion
que voilà à quiconque avant moi ?
    — Que nenni, Moussu ! dit le charron en secouant
sagacement devant son nez une main aussi velue que son crâne l’était peu :
À bonne oreille, fine remarque. À male oreille, pas une puce. Et que si on veut
m’en faire accroire, à moi maître charron, j’en accrois, et m’accoise.
    — Cornedebœuf ! dit La Surie, pour un qui
s’accoise, le drole est bien fendu de gueule !
    — Mais il a l’idée fine, dis-je. Maître Charron, un
flacon de plus, ce soir, pour toi et tes aides. Dis-le à Pissebœuf. La bonne
nuit à toi, Charron.
    — Bonne nuit, Moussu lou Marquis.
    — Dieu sait pourquoi, dit La Surie, la belle a
voulu, à force forcée, se joindre à nous. Si c’était l’ex-Vasselière, je
craindrais pour votre vie, sinon pour votre vit.
    — Babillebahou ! dis-je en riant, la Sourdis n’a
pas la tripe sanguinaire ! Elle aime trop les hommes pour en occire un
seul ! Mais il crève les yeux qu’elle entend fourrer son joli nez dans nos
affaires.
    Je dépêchai Luc à la demie de huit heures pour dire à la
belle que nous l’attendions à neuf, mais il fallut encore une heure avant
qu’elle fit son apparition, pimplochée à ravir, magnifiquement attifurée en
satin bleu pâle et plus chargée de bijoux qu’un âne de reliques. Il faut bien
avouer que pour une dame qui avait passé trente-cinq ans, elle était fort
alléchante encore, le tétin pommelant, le cou délicatement rondi, pas un menton
de trop, et encore qu’elle fût très brune, la peau laiteuse. En outre, elle
usait à merveille de ses grands yeux noirs, je ne dirais pas avec art, tant ses
œillades saillaient de sa chaleureuse nature, et la trahissaient sans cesse,
au-delà de ses paroles, tant est que ses prunelles ardentes vous baignaient de
tant de caresses et promesses qu’on s’étonnait, après dix minutes de
compliments, de ne se point trouver jà en sa coite. Je remarquai sur sa
gorge – qui même sans cela eût attiré mon attention – un superbe
diamant serti en une sorte de résille d’or, et, jetant un œil à Miroul, je lui
fis entendre que c’était là le caillou baillé par Robin, à qui on s’était bien
gardé de le rendre, l’affermement refusé. Il est vrai que cette sorte de
personnage avait dû trouver un accommodement avec le chancelier de Cheverny,
étant tous deux hommes de même farine.
    La chancelière – comme de méchantes langues appelaient
M me  de Sourdis en Paris – réclama, à peine assise,
qu’on doublât le nombre des chandelles, afin que de mieux voir dit-elle,
« les beaux gentilshommes qui la recevaient à table ». À quoi,
sachant bien que ce voir n’était que le frère jumeau d’être vue, je
me hâtai de lui dire, maniant la truelle comme c’est mon us avec les personnes
du sexe :
    — Hé, Madame ! je n’aurais, quant à moi, point
assez de toutes les chandelles du monde pour que mes yeux puissent dévorer à
leur aise, et j’ose dire, insatiablement, vos incomparables beautés.
    À quoi La Surie ayant ajouté une pierre ou deux au
maçonnement de l’hyperbole, M me  de Sourdis, comblée de ce
côté-là, commença à se combler elle-même d’un autre côté, et se mit à gloutir
une quantité de viandes et de vins qui eût suffi à une demi-douzaine d’hommes.
    — Monsieur mon ami et sauveur, me dit-elle quand elle
fut quelque peu rassasiée, j’imagine que ce n’est pas sans affres ni
trémulations que vous convoyez, jusque sous Amiens, un chargement si précieux.
    — Assurément, Madame, dis-je, la paupière mi-close.
Mais si devons-nous, hélas ! procéder, tant qu’on n’aura pas trouvé le
moyen de faire tirer les arquebuses sans balle, ni de faire marcher les soldats
sans pain.
    — Ni sans solde, dit-elle en me jetant un œil vif.
    — Ha, pour les soldes ! dis-je, en l’envisageant
de l’air le plus innocent, je n’en suis pas porteur, M. de Rosny
devant assurer seul le convoiement de l’or qu’il recueille et ramasse par tous
les moyens.
    Disant quoi, je mentais avec la dernière effronterie et ma
belle lectrice entend bien pourquoi.
    — Nenni, Monsieur, excusez-moi, mais je ne l’entends
pas.
    — Hé ! Madame ! Vous me lisez mal ! Je
sais bien que ces Mémoires abondent en péripéties et en personnages, et sur
ceux-là en détails infinis, mais ce détail-là, l’avoir oublié, vous, une
femme ! Plaise à vous toutefois de me permettre de poursuivre

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