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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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gardien de leurs vertus et,
suivi de mon escorte et de mes coches, m’en fus trottant de concert avec M me  de Sourdis
jusqu’au château de Liancourt dont le maître, se trouvant avec le roi sous
Amiens avait laissé mot à son maggiordomo d’obéir en tout à mon
commandement.
    Je fis bailler à M me  de Sourdis la plus
belle chambre et, apprenant de sa bouche que le château de Liancourt était
hanté par plusieurs spectres des plus malicieux, je choisis, afin que de la
rassurer, la chambre contiguë à la sienne et lui fis la proposition gaussante
de l’aider à se déshabiller en l’absence de ses femmes, suggestion quelle
refusa, mais qui la ravit. Et ayant allumé de ma main je ne sais combien de
chandelles, battu le briquet pour faire un beau feu dans sa cheminée, et tiré
devant les fenêtres des rideaux si épais que même le plus délié des fantômes
aurait eu peine à les traverser, je la laissai, fort touchée des soins que je
prenais d’elle, et me disant que j’étais le plus merveilleux des hommes et,
d’ores en avant, « beaucoup plus qu’un ami » pour elle.
    Titillé assez, et par sa pliable humeur, et par des propos
si tendres, je gagnai la cour du château où mon Pissebœuf jà avait fait ranger
toutes nos coches en rond, allumé des petits feux çà et là sur le pavé, et
distribué des tours de garde la nuit, à raison de trois hommes par coche. Après
quoi, j’allai voir ce qu’il en était de la nourriture de mes cavaliers, car
nous tirions tout de notre fonds, ne voulant pas mettre à la charge de nos hôtes,
fût-ce pour une nuit, l’entretainement de deux cents affamés. Je passai ensuite
une revue de nos montures aux écuries, où se déployait, à la lumière chiche des
lanternes (la proximité du foin excluant les torches), une émerveillable
activité les chevaux étant pansés, nourris, désassoiffés, et les
maréchaux-ferrants courant de l’un à l’autre pour remplacer les fers manquants,
la forge brûlant de tous ses feux. Comme on sait bien, je n’aime pas la guerre,
mais en revanche, je confesse que j’aime à la fureur, surtout la nuit, qui y
ajoute je ne sais quel mystère, ces scènes de camp et de bivouac, où l’on sent
qu’hommes et animaux sont pareillement heureux, après tant de peine et labour,
de se rebiscouler.
    Je revins à la cour du château, juste au moment où la carrosse
de M me  de Sourdis y pénétrait avec « sa petitime
escorte » et mes hommes, et à la lueur d’une torche, j’en vis descendre
les trois chambrières passablement décoiffées, et qui ? sinon
M. de La Surie qui, ayant confié sa monture à Poussevent, avait
sans doute jugé qu’il ne saurait mieux protéger les garcelettes qu’au plus
près.
    Je dépêchai lesdites incontinent à la chambre de M me  de Sourdis
sous la conduite de Luc, suivi de quatre hommes – il fallut bien
cela ! – qui portaient les bagues de la marquise dont le nombre
montrait que si elle avait épargné, en ce voyage sur le domestique, elle
n’avait pas été chiche sur les vêtures et les affiquets. Au maggiordomo qui s’approcha alors de moi pour s’enquérir de l’heure à laquelle je voulais
mon souper, je répondis, l’œil toujours fixé sur les bagues, et non sans un
soupir, qu’au train où allaient les choses, nous ne serions pas prêts avant
neuf heures à gloutir notre repue, mais qu’en attendant, je boirais, avec le
chevalier de La Surie, un flacon de vin avec une croûte de pain et un bout
de fromage. Et apercevant, comme je traversais la cour, mon charron, lequel
était plus chauve qu’un moyeu, je lui fis un mot de compliment sur la célérité
avec laquelle il avait remis en place la roue de la carrosse.
    — Hé, Monsieur le Marquis ! dit mon charron, avec
son aimable accent périgordin, le compliment est bien gracieux, mais il n’y a
pas eu grand mérite à cela. L’ajustement s’est fait en deux coups de maillet.
Toutes les pièces étaient là, sans rien de tordu ni de faussé. À croire qu’il
n’y a pas eu accident le moindre, mais qu’on a enlevé la roue, la carrosse
arrêtée, et les dames dehors. Sûrement que si la roue avait sauté en marche, et
les dames dedans, on leur aurait compté plus de bosses par le corps que leur seul
faux cul…
    — Oyez-vous cela, La Surie ? dis-je en
prenant mon Miroul par le bras et en le serrant avec force.
    — J’ois, dit La Surie.
    — Maître Charron, repris-je, as-tu fait la

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