La pique du jour
se
faisait donner du capitaine par ses hommes), protégeait la partie la plus
lourde du convoi, étant toute en munitions, boulets, et même canons sur leurs
affûts, lesquels hélas ! ne se pouvaient mettre en coche. Mes deux pages
gardaient les liaisons et articulations entre l’avant-garde, l’arrière-garde et
moi, et s’ébaudissaient fort à ce trajet continuel d’avant en arrière et
d’arrière en avant qui faisait dire à Pissebœuf que ce n’était pas merveilleux
qu’ils fussent tant zizanieux que des moustiques : ils zigzaguaient comme
eux.
Un peu avant que nous advînmes au château de Liancourt qui
devait être notre gîte d’une nuit, Thierry, qui à l’arrière-garde trottait au
botte à botte avec ledit Pissebœuf, me vint dire que la carrosse d’une haute
dame qui courait derrière eux sur le chemin avait perdu une roue et gisait, à
demi renversée, sur le bas-côté du chemin, la dame étant sauve, mais dans les
larmes et, ayant appris mon nom, m’appelait à son secours. Je dépêchai aussitôt
Luc à mon avant-garde pour dire à La Surie d’arrêter le voiturement et
pour moi, en sens inverse, je courus conforter l’infortunée.
Je fus béant de reconnaître la belle M me de Sourdis,
laquelle me parut fort décomposée, mais sans navrure aucune. Le moment qu’elle
me vit, elle me jeta de prime ses bras autour du col, se serra contre moi,
(mais ai-je bien raison de dire « contre » ?) avec une force que
je n’eusse point attendue de ses airs dolents, de ses soupirs, de ses larmes,
et des assurances qu’elle me donna aussitôt, d’une voix entrecoupée, de sa
gratitude éternelle. Et j’entends bien que la dame avait dû éprouver une fort
grande frayeur quand sa carrosse avait versé, mais, à mon sentiment, se
trouvant de présent saine et sauve, le gros de son émotion était passé :
elle n’en prolongeait la queue que pour en jouir, et en jouir en la compagnie
d’un homme, elle qui les aimait tant.
— Madame, dis-je, quand elle me voulut bien désenlacer,
j’ai jeté un coup d’œil à votre roue. Elle est intacte, et comme seule a cédé
la partie qui la fixe au moyeu, mon charron vous la remettra en place en une
heure ou deux.
— Une heure ou deux ? s’écria-t-elle, ses larmes
redoublant, mais le jour sera tombé jà ! Et vais-je demeurer seule céans
dans une nuit d’encre avec ma petitime escorte ? Monsieur mon ami,
m’allez-vous de présent dans le noir abandonner ? Et ne m’avez-vous sauvé
la vie que pour la laisser au hasard des grands chemins ?
— À Dieu ne plaise, Madame, dis-je promptement. J’ai
céans, parmi mes chevaux, une haquenée toute sellée, cadeau du roi à la
marquise de Montceaux, et s’il vous plaît de la monter, le château de Liancourt
n’est qu’à une lieue d’ici et nous y galoperons de compagnie. Quant à votre
carrosse, vos femmes et votre escorte – laquelle je renforcerai d’une
vingtaine de mes gens –, elles nous rejoindront dès que mon charron aura
remis votre roue.
À ces mots, les femmes de M me de Sourdis
qui n’étaient qu’au nombre de trois – ce qui montrait qu’en voyage la
marquise savait se contenter de peu – se mirent toutes ensemble à
criailler, jacasser et coquasser, toutes plumes rebroussées.
— Hé, Madame ! s’écrièrent-elles, la voix
plaintive et trémulente, allons-nous rester seulettes, la nuit, au milieu de
ces soldats barbus, lesquels, dès que vous serez départis, se jetteront sur
nous pour nous soumettre à leurs volontés ? Benoîte Vierge, Madame !
Ne nous avez-vous emmenées si loin que pour être troussées cul par-dessus tête
sur le revers d’un talus ?
— Paix, paix, sottes caillettes ! cria M me de Sourdis
d’une voix aiguë, pour dominer le chœur des jérémiades. Le capitaine que voilà,
poursuivit-elle en désignant Pissebœuf, tiendra la bride à ses soldats.
Mais là-dessus, ayant envisagé Pissebœuf et les yeux
luisants qu’il tournait vers ses femmes, elle parut nourrir quelque doute sur
la solidité de cette bride-là et, partant, hésiter sur le parti à prendre,
n’étant ni insensible ni impiteuse avec ses gens, bien loin de là. Je la tirai
de cet embarras en faisant quérir par mon page le chevalier de La Surie,
qui accourut à brides avalées et, au su de sa mission, et au premier coup d’œil
qu’il jeta aux chambrières, ne parut se déplaire ni à elles ni à son rollet.
Je laissai donc mon Miroul en
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