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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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dont la galanterie me faisait un ordre, je
revêtis mon plus emperlé pourpoint et me présentai incontinent chez elle.
    Que ma belle lectrice n’aille pas s’imaginer qu’en quittant
Paris pour le camp d’Amiens, où maugré la guerre et la canonnade, elle se
sentait plus en sécurité qu’au milieu de ces Parisiens pour elle si déprisants,
la Gabrielle avait troqué un palais pour une masure. Bien loin de là ! Sa
tente n’avait rien de Spartiate ni de militaire, étant immense et caparaçonnée
du haut en bas de cuir doré. Un parquet avait été jeté sur la terre battue et
sur le parquet un grand tapis afin que d’isoler du sol ses pieds mignons. Une
soie d’un vert tendre drapait son lit pliant qu’on n’eût osé appeler « de
camp », tant il était riche en coussins et fourrures, et en outre, vaste
assez pour que deux personnes y pussent manœuvrer à l’aise. La toilette, qui
venait en second pour l’importance de ses proportions et le luxe de sa
décoration, était garnie de toile d’or et de satin de Bruges, et présentait,
devant un fort beau miroir, une redoutable armée de crèmes, de pots,
d’onguents, de parfums et de brosses de soie, le tout fort bien rangé en ordre
de bataille. Sur le côté le plus long de la tente se tenaient, comme en
faction, deux rangées de coffres chamarrés qui contenaient, je gage, les armes
avec lesquelles ce doux sexe est accoutumé de meurtrir nos tant pauvres
cœurs : j’entends les soies, les velours, les damas, les basquines, les
corps de cotte, les bras et les vertugadins, sans compter les grands cols en dentelle
de Venise, les affiquets et, pour les maigres, les faux culs. Mais la Gabrielle
n’avait rien à se rajouter de ce côté-là, étant « grasse et
fraîche », comme disait le roi, toutefois la taille mince et le flanc
élancé.
    Deux cancans, si ouvragés et dorés qu’ils ressemblaient à
des trônes, se dressaient, non point de chaque côté d’une table pliante, mais
l’un sur le petit et l’autre sur le grand côté, afin que le roi, tout en
mangeant, pût être proche assez de sa belle pour lui tenir continûment la main –
ce qui faisait que tout le temps de la repue, l’un et l’autre se trouvaient
manchots et ne pouvaient découper leurs viandes. Mais le maggiordomo y
veillait, comme bien on pense.
    Cette tente, à l’entrant, était la seule de tout le camp à
ne sentir ni le cuir, ni la sueur, ni le cheval, ni la poudre de canon, mais
une odor di femina, enrichie de doux parfums, et d’autant que voletait
qui-cy qui-là, affairé à des tâches diverses, un escadron de chambrières que la
Gabrielle, forte de ses inégalables attraits, avait eu la coquetterie de
choisir tant jeunes que jolies. Ha, lecteur ! Quel baume, quelle drogue,
quel magique philtre pourront jamais valoir la simple vue de tout le féminin
qui débordait de cette tente comme le miel d’une ruche ! À mon advenue,
j’en perdis pour un temps mon vent et haleine, et restai sur le seuil, transi
et comme privé de voix.
    Toutefois, la marquise de Montceaux, qui était assise à sa
toilette (une de ses femmes testonnant ses cheveux d’or avec un peigne de
nacre), m’aperçut dans son miroir et sans se retourner, me tendant sa main à
baiser, me dit d’une voix douce et caressante :
    — Ha, Monsieur de Siorac ! que je me sens avec
vous fautive d’avoir tant délayé à vous présenter le million de mercis que je
vous dois pour avoir si courtoisement aidé ma tante de Sourdis en sa détresse.
Ce n’est pas faute qu’elle n’ait chanté vos louanges pendant le temps qu’elle
me fit l’amitié de demeurer céans avec moi, disant de vous que vous étiez, à
son sentiment, le gentilhomme le plus accompli de la création.
    — Madame, dis-je, je suis très touché que M me  de Sourdis
parle si bien de moi, encore qu’elle y mette trop de bonté. Car, à la vérité,
je n’ai fait pour elle que ce que tout un chacun eût fait à ma place pour une
personne du sexe.
    — Nenni, Monsieur, nenni ! Elle m’a conté les
soins, les grâces et les attentions dont vous l’avez entourée. Monsieur,
reprit-elle en riant, vous n’en sauriez réchapper : vous voilà oint et
sacré d’ores en avant le gentilhomme le plus obligeant du royaume. De reste, M me  de Guise
en dit tout autant de vous et vous loue très hautement du très signalé service
que vous avez rendu à son fils Charles en Reims.
    — Madame, dis-je très à la prudence,

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