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La pique du jour

La pique du jour

Titel: La pique du jour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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bien fis-je, car ledit notaire ayant reçu après moi un émissaire
de la marquise de Montceaux, lequel, comme moi, prétendit agir en son nom
propre, estima, à voir tant d’acheteurs se presser à sa porte, qu’il était de
l’intérêt de M me  de Guise (et peut-être du sien) de porter
l’enchère à cent quarante mille écus. Tant est que la marquise et le roi furent
fort heureusement surpris de la modestie de mon offre et l’acceptèrent sans
tant languir.
    Cette terre s’appelait Beaufort, du nom du plus proche
village, et dès que la marquise l’eut « achetée », le roi l’érigea en
duché et la Gabrielle en prit le nom.
    Sur mon rollet en cette affaire, La Surie voulut
groigner et chamailler. Et quand la duchesse de Beaufort m’envoya du camp
d’Amiens une fort jolie lettre-missive en Paris pour me mercier de mes bons
offices, il me dit :
    — Il n’empêche. Voilà bien la première mission à vous
confiée qui ne sert qu’un intérêt particulier au lieu de servir la nation.
    — Ha, mon Miroul, dis-je, cela est vrai, mais qu’y
peux-je ? Comment refuser ? Et est-ce ma faute si la duchesse de
Beaufort mène sa petite guerre à l’intérieur de la grande ? Et comment
irais-je, moi, à moi seul, changer un monde où les hommes gouvernent les choses
et les femmes gouvernent les hommes ?
     
     
    Le vendredi 19 août, ayant voituré l’avant-veille un
très gros chargement, je me présentai, sur l’ordre du roi, à sa tente, vers les
six heures du matin, autant dire à la pique du jour, et l’y trouvai couché,
fort las de deux alarmes qui l’avaient la nuit désommeillé deux fois avant de
se révéler fausses, et comme il me confiait, me sachant au départir, un message
oral et confidentiel pour M. de Vie, gouverneur de Paris, il se fit
tout soudain quelque bruit et noise à l’entrant de sa tente. Henri ayant
dépêché un page pour en connaître la cause, celui-ci lui revint dire qu’un
carabin, tant sale que poussiéreux, réclamait à grands rugissements de le voir,
prétendant avoir aperçu un fort parti de cavaliers au village de Quirieu. Et
encore que Sa Majesté fût incrédule – y ayant eu jà, comme j’ai dit,
deux fausses alarmes durant la nuit – le nom de Quirieu lui fit dresser
l’oreille, ledit village étant à deux lieues à peine de son propre quartier.
    Le carabin fut donc introduit dans la tente et comme, à ce
nom étrange de carabin, je vois ma belle lectrice froncer son mignon sourcil,
je lui veux dire qu’en nos armées, on appelle ainsi une sorte d’arquebusier à
cheval, dont la cuirasse se trouve échancrée à l’épaule droite pour lui
permettre de mettre en joue la longue et lourde escopette qu’il porte dans son
dos en bandoulière. Le carabin dispose aussi pour sa défense rapprochée d’un
pistolet et d’un fort coutelas, lequel, toutefois, ne lui serait d’aucune
utilité contre un lancier si son pistolet venait à faire long feu.
    On emploie ces carabins pour battre l’estrade et dresser des
embûches. Et parfois au combat, on les place comme les « enfants
perdus », disséminés en petits paquets en avant du gros de l’armée. Et il
faut bien avouer qu’en ces diverses tâches, les carabins n’ont pas toujours
bonne réputation, étant tenus par d’aucuns pour de fieffés maraudeurs,
picoreurs et aventuriers.
    Tous ces noms eussent pu fort bien convenir à ce long et
dégingandé escogriffe qui avait eu le front de désommeiller le roi sur le coup
de six heures pour lui dire qu’il avait vu l’ennemi à Quirieu. Et pour le lui
dire très mal, car, étant originaire de la Hesse, il parlait un français
baragouiné de patois allemand. Mais il jura tant de Mein Gott qu’il
disait vrai, ajoutant que s’il mentait, il souffrirait, le cœur léger, d’être
pendu, que le roi, à la parfin, le crut, et tout de gob, las comme il était,
monta à cheval, suivi de M. le Grand Écuyer, de moi-même et de
quelques-uns de sa noblesse qui se trouvaient là. Prenant incontinent le chemin
de Quirieu, il passa par le logis des carabins et, les réveillant, leur donna
l’ordre de monter à cheval et de le suivre. Puis encontrant, comme il
poursuivait sa route, deux camarades de celui qui l’avait de prime averti,
ceux-là confirmèrent les dires du premier. Henri dépêcha aussitôt un seigneur
pour recommander au connétable de Montmorency de prendre ses dispositions pour
réveiller son monde, et tenir ferme partout où

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