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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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piétiner l’un des nombreux marmots qui rampaient autour de
lui. Quand l’un d’eux se mit à tirer sur sa robe, Olivia le prit sur ses
genoux, ouvrit son corsage et guida son téton entre les lèvres pincées du bébé.
    « Peut-être, dit Liberty en s’éclaircissant la gorge,
peut-être que je ferais mieux de m’en aller. »
    Elle se tourna et regarda longuement par la fenêtre. Puis
elle dit, d’une voix ferme et claire : « Toute ma vie je me suis
demandé pourquoi le ciel était si bleu, mais je n’ai jamais trouvé personne
pour répondre à cette question. Et vous, vous avez la réponse ?
    — Non, madame, répondit Liberty en tentant d’échapper à
ses yeux noirs et pénétrants. Je crains que non.
    — C’est pas plus mal. Il faut croire qu’on n’est pas
censés le savoir. » Elle tapota la joue du nourrisson. « Ne mords
pas, trésor, s’il te plaît. Alors, ajouta-t-elle en s’adressant à Liberty,
est-ce que c’est votre M. Lincoln qui a décidé de vous habiller tout en
bleu et de nous effrayer, nous les gens du Sud, en nous faisant croire que vous
étiez des costauds tout-puissants ? » L’enfant interrompit sa succion
avide, comme si lui aussi attendait la réponse.
    Liberty, qui s’efforçait de détourner son regard indocile de
la direction qu’il prenait obstinément, parvint à bredouiller : « Mon
Dieu, il doit vous venir des pensées bien curieuses, à force de rester toute
seule à la ferme.
    — Pas plus curieuses, je crois, que celles qui doivent
vous ronger à faire cette guerre si glorieuse.
    — Je crois qu’on y apprend surtout à penser le moins
possible », répondit-il, sans savoir comment poursuivre, submergé par la
regret d’avoir été contraint, par le hasard ou quelque autre force mystérieuse,
de jouer les messagers du malheur, dans une scène qui au même instant se
répétait dans d’innombrables foyers au nord comme au sud, aucune frontière
n’étant assez solide ou étanche pour tenir à distance la Vedette Masquée qui
triomphait sur toutes les planches américaines.
    « Je vous offrirais volontiers du café, si j’en avais,
dit-elle, balayant vaguement la pièce nue d’un regard inconsolable. Voulez-vous
une tisane de glands ?
    — Avec plaisir. »
    Il la regarda déposer le bébé par terre, où il (ou elle) fut
aussitôt agressé par un autre il (ou elle), émettant une succession de cris
d’un volume et d’une durée presque insoutenables. « Taisez-vous, les
enfants ! cria-t-elle en posant la bouilloire sur le feu. On a de la
visite. » Mais pas un des petits démons braillards, rigolards ou
chantonnants ne semblait avoir remarqué la présence parmi eux de cet étranger.
    Quand la tisane eut infusé, elle en offrit une timbale
fumante à Liberty en le prévenant : « Attention, c’est
brûlant. »
    Il goûta prudemment la décoction fétide, dont la saveur
évoquait irrésistiblement de l’eau stagnante bouillie. « Excellent,
proclama-t-il. C’est bien meilleur que tout ce que John le Voleur-de-Chiens
nous a jamais servi au mess. » Il avait vu ses mains rougies trembler
légèrement quand elle lui avait tendu la tisane. L’ennemi dans sa maison ?
Un homme dans sa maison ? Les deux ? Il attendit, les yeux baissés
sur ses propres mains crasseuses : cette fois, c’était entre ses doigts
que la timbale tremblait, tandis que la jeune femme se rasseyait sur sa chaise
dans un craquement de bois.
    « Ça va, madame ? » demanda-t-il, croyant
percevoir un soupir.
    Elle se pencha en avant et lui effleura le genou. « Je
vous en prie, ne m’appelez pas madame. Je m’appelle Olivia. » Ses grands
yeux marron parurent gagner en taille et en éclat.
    « D’accord, euh… Olivia. Je peux faire quelque chose
pour vous ? »
    Elle se tourna pour le regarder dans les yeux. « Vous
attendez que je me remette à pleurer. Eh bien, je ne peux pas. Je suis tout
asséchée. Comme la terre. » Nouveau soupir. « Bon, j’imagine que vous
voulez en savoir plus. » Son poing aux phalanges exsangues agrippa
l’étoffe grossière de sa robe, sur laquelle ses doigts se crispèrent et se
décrispèrent comme s’ils pétrissaient de la pâte. « Bien sûr que je l’ai
mis en garde, à en perdre la voix. Je savais que ça arriverait un jour, et lui
aussi sans doute, mais les jours passaient, et puis les mois et les années, et
comme ça n’arrivait toujours pas on s’est mis à croire, tous les deux,

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