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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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c’était dû à des perturbations du
courrier, fort compréhensibles en temps de guerre, ou à une raison plus grave.
La vaste et perpétuelle incertitude des temps avait érodé son cœur jusqu’au
noyau. La dernière fois qu’elle l’avait vu remontait à plus de deux ans, et
elle craignait que ses traits ne s’effacent bientôt de sa mémoire. Ils se
tenaient dans une chambre de l’étage ; les cris et les rires des enfants
se déversaient par les fenêtres ouvertes et filtraient à travers le plancher.
Manifestement, Olivia avait quelque chose à lui demander, mais elle ne trouvait
pas le courage ou les mots appropriés, et Liberty attendit, plein d’espoir et
d’impatience. Enfin elle parla. « Monsieur Fish, commença-t-elle, c’est
avec une extrême réticence que je vous présente cette requête, mais je constate
néanmoins que je ne puis m’en empêcher : m’autoriseriez-vous à apercevoir,
fût-ce brièvement, votre nudité virile ? » Ignorant la stupéfaction
pudique qui s’inscrivait sur son visage, elle poursuivit : « Je ne
dis pas cela par désir impérieux de la toucher, je crois que j’en ai fini avec
tout ça » – elle balaya du bras la fenêtre, les cris, les rires, les
disputes – « mais simplement parce que cela fait si longtemps que je
n’ai pas contemplé cet organe que je me sens, à mon grand embarras, troublée
par le besoin de le revoir une fois. » Elle dévisagea Liberty d’un air
parfaitement détaché, presque clinique, dont la sévérité était atténuée par le
teint légèrement rosi de son visage plein d’attente.
    « C’est tout ? demanda Liberty. Je croyais que
vous alliez me demander de tuer quelqu’un. Cela m’aurait peut-être gêné avant
de m’enrôler dans cette guerre insensée, mais, franchement, où qu’on aille, au
Nord comme au Sud, chaque fois qu’on faisait halte pour se baigner dans une
rivière ou un étang, les berges se remplissaient très vite d’une foule de
demoiselles, pour à peu près les mêmes raisons que vous. Et les garçons
feraient pareil face à une armée de filles en train de faire trempette. Faut
croire qu’on aime se regarder mutuellement. Alors, où est-ce que vous voulez
que ça se passe au juste, cette séance de zyeutage ? »
    Elle traversa la pièce et ferma discrètement la porte.
« Ici, ce serait parfait, dit-elle d’une voix tremblant de hâte nerveuse.
    — C’est la requête la plus étrange qu’on m’ait jamais
soumise », dit Liberty en se débattant avec ses boutons de culotte. Son
pantalon lui tomba aux chevilles et il se retrouva nu au-dessous de la
ceinture. Olivia ne dit pas un mot, se contenta de regarder, et il sentit que
jamais auparavant on ne l’avait regardé aussi intensément, et il crut
rapetisser sous cet examen inflexible.
    Quand elle eut terminé, elle eut un bref hochement de
tête ; son visage était aussi neutre et indéchiffrable qu’un masque de
bal. « Merci, dit-elle. Tout le monde n’accepterait pas de rendre un tel
service à une femme de planteur esseulée.
    — C’est moi qui vous remercie, madame, d’apprécier
autant.
    — Profitez-en pour mettre les vêtements de mon mari.
Vous êtes déjà à moitié déshabillé. » Et elle quitta la pièce en refermant
la porte derrière elle.
    Cette nuit-là, seul dans la chambre qu’elle avait tenu à lui
céder tandis qu’elle dormirait avec l’une de ses aînées, s’agitant dans le lit
même qu’avaient partagé naguère Olivia et son mari disparu, Liberty fut en
proie à des visions importunes de nature nettement salace jusqu’à ce que, après
des heures de combat intérieur, il entende, à travers les murs trop minces, le
son reconnaissable d’une femme qui sanglotait ; et tant qu’il fut éveillé,
ce bruit ne cessa pas.
    Au matin, elle remercia Liberty de sa gentillesse et de sa
générosité, ajouta qu’elle comptait demander à Jasper et à son fils de venir
avec le chariot pour l’aider à transporter le corps de son père, rejeta
fermement toute offre d’assistance, disant qu’il avait déjà assez de soucis, et
lui souhaita bonne chance. Elle déposa un baiser sur sa joue, ils se firent
leurs adieux, et Liberty reprit la route. Quand il s’arrêta pour regarder en
arrière, elle avait disparu.

 
20
    Enfant, puis adolescent, Liberty avait si souvent visité en
imagination le vieux domaine – inspectant le parc immense, saluant les
serviteurs, dérivant au long des couloirs

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