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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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général Sherman. »
    Simms haussa un sourcil. « C’est vrai ? Dans ce
cas, j’imagine que vous n’avez guère trouvé de quoi paître dans ce pays désolé.
    — Vous seriez surpris.
    — Oui, je serais surpris. Pendant quatre longues années
et plus, j’ai essayé de tirer ma subsistance de ce sol amer, et tu contemples à
présent le fruit de ce vain labeur. » Sur une desserte à portée de main,
il prit une boîte de fer-blanc qu’il ouvrit et tendit à Liberty ;
« Ça te dirait, un beignet ? »
    Liberty prit l’une des boules pâteuses et la renifla.
    « Elles sont irréprochables, dit Simms. C’est ma fille
qui m’les apporte, toutes les semaines ou à peu près. Elle veut pas que son
vieux père crève de faim dans son gourbi au milieu de nulle part.
    — À ce propos, je peux vous demander ce que vous faites
ici, tout seul dans les bois ? »
    Simms ne put réprimer un sourire. « Moi-même, parfois,
je me pose la question. La vérité, c’est que j’ai fait sécession.
    — Sécession ?
    — Oui, monsieur, j’ai fait sécession de la Sécession.
En 60, quand on est sortis de l’Union, j’ai décidé de quitter la Géorgie. Toute
cette histoire, ça me rendait malade. Ça m’écœurait à l’époque, ça m’écœure
encore plus maintenant. Mais ce modeste lopin de terre que tu occupes à
présentée l’ai reconquis à jamais au nom de la République et de l’Union. Ici,
tu foules un sol libre et sans esclaves, et il demeurera libre tant qu’il me
restera un souffle de vie.
    — Ça a dû être difficile d’arriver à cette décision.
    — Terriblement difficile. J’y ai perdu ma famille, j’y
ai perdu ma ferme. On m’en a chassé, monsieur, on m’a chassé de ma propre
maison.
    — Mais comment a-t-on pu faire ça ?
    — Avec des fusils et des torches, mon ami, voilà
comment. On me soupçonnait d’armer les nègres. J’ai eu de la chance de m’en
tirer vivant.
    — C’est incroyable, cette histoire.
    — Oh, y a plein de gens comme moi dans tous les coins
de cet État. Mais la plupart ont appris très vite à fermer leur clapet.
Moi ? J’ai jamais été doué pour tenir ma langue. Je ne supportais pas le
silence. » Soudain, il leva la main, pencha la tête. « Chut,
tais-toi, souffla-t-il, l’oreille aux aguets. Y a des chevaux qui arrivent. Tu
ferais mieux de descendre là-dedans. » Il repoussa fébrilement la table,
ouvrit une trappe dans le sol et fit signe à Liberty de sauter dans le trou. La
trappe se rabattit, et Liberty, désemparé, se retrouva plongé dans une
obscurité si totale que cela ne changeait rien qu’il ait les yeux ouverts ou
fermés. Il crut entendre, venue de très loin, la rumeur de voix d’hommes, au
son étouffé, aux paroles indéchiffrables. Le temps s’écoula. Il s’interrogea
sur la quantité d’air disponible dans ce caveau ; combien de temps
pourrait-il supporter de rester ainsi accroupi dans les ténèbres humides, avant
que la sensation d’étouffement et sa claustrophobie naturelle ne le poussent,
paniqué, à s’échapper d’un bond, tel un aliéné fuyant sa cellule ? Il leva
doucement une épaule pour tester la trappe. Elle était verrouillée. Que
faire ? Il décida d’attendre encore cinq minutes environ avant de tenter une
évasion mieux planifiée. Tandis qu’il égrenait mentalement les secondes, il
s’aperçut que l’obscurité environnante n’était pas un bloc dense et massif
d’obsidienne comme il l’avait cru au départ, mais un panorama changeant
d’ombres et de formes d’épaisseur et de complexité variables, et que, dans
cette poix subtile, grouillaient des créatures sinistrement vivantes.
Curieusement, le fait de fermer les yeux n’altérait aucunement cet effet :
la nature intérieure ne se différenciait en rien de la nature extérieure,
tandis que la conscience, cet instrument faiblard, ne semblait plus qu’un pivot
ténu en équilibre instable entre deux mondes également menaçants. Lorsque des
hordes terribles de bestioles blanches se mirent à fourmiller autour de lui, il
caressa l’idée qu’il serait peut-être prudent d’écourter cette séquestration
souterraine, tant une balle en plein soleil lui paraissait éminemment
préférable à cette hideuse confrontation avec les créatures plutoniennes, sans
nom et sans nombre, de la folie. Dans son accès de panique, il crut entendre un
cri, qui émanait sûrement de lui ; mais quand le cri se répéta,

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