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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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bonne chance à vous, monsieur, l’avertit
Rapiécé. Mais faites gaffe qu’il vous verse pas quelque chose dessus. Sous la
poussière et les coups de soleil, vous m’avez déjà l’air plus blanc qu’un pot
de lait bouilli. »
    Dans ses bottes qui glissaient et couinaient, Liberty gravit
le long chemin de coquilles d’huîtres écrasées jusqu’à la maison qui
l’attendait, où il reconnut aussitôt l’oranger maigrelet aux branches duquel sa
mère, se penchant par la fenêtre de sa chambre, avait si souvent cueilli son
fruit du matin. Par-dessus le fameux rebord gauchi, et de sa propre main.
Était-ce possible, se demanda-t-il, d’être envahi, même pour un instant
heureusement bref, par la nostalgie poignante d’un passé qu’on n’avait pas vécu
soi-même ? Sous une forme quelconque, il était déjà venu ici. De cela, il
était certain.
    La véranda était déserte à l’exception d’un chien endormi,
d’un rocking-chair vert d’eau au dossier brisé, dont les montants branlants
étaient précairement maintenus en place par une ficelle grossièrement nouée,
et, sur le plancher, d’une lourde tasse de terre cuite qui, lorsque Liberty la
porta à ses narines alertes, se révéla avoir contenu récemment un spiritueux
enivrant d’une puissance non négligeable. Prudemment, il s’approcha de l’animal
étrangement inerte. Détectant un frémissement léger mais régulier des côtes, il
effleura de la pointe de sa botte le dos osseux du molosse roux. « Ohé,
fit-il doucement. Ohé, toutou. » Le chien leva la tête, le gratifia d’un
long regard souffreteux et enfouit de nouveau son mufle aux moustaches grises
entre ses pattes déplumées.
    Une fenêtre ouverte offrait une vue parfaitement cadrée du
salon, une pièce Spartiate et spartiatement meublée, organisée autour d’un
divan de crin défoncé, étayé à un bout par une pile de manuels de droit
jaunissants ; au sol, un tapis aux couleurs passées, sur un mur, pour
unique ornement, une série de six tableaux curieusement troubles, n’excédant
pas chacun vingt centimètres carrés, chacun plus sombre que le précédent, et
sans le moindre contour d’image identifiable. Il s’avança jusqu’à la porte,
également ouverte, frappa discrètement au jambage et, faute de réponse, cria
quelques bonjours timides. Il entra, traversa les pièces désertes tel un
spectre effarouché, brusquement ramené dans un monde oublié et pourtant
étrangement familier. C’étaient donc là les murs sur lesquels s’étaient
projetés jadis les purs rêves de la jeunesse, le fauteuil préféré dont
l’étreinte rigide renfermait l’idée réconfortante d’un foyer, la coupe des
plaisirs laiteux dont le bord avait été mémorisé par des lèvres de chair.
Chéris le passé, si amer soit-il, entendait-il sa mère proclamer, car il ouvre
la porte d’une liberté future.
    De l’arrière de la maison, il aperçut un lambeau de fumée
grise qui se déployait paresseusement de la cheminée des cuisines, et crut
percevoir à l’intérieur une ombre de mouvement qui le poussa à explorer. Il y
trouva une vieille femme édentée, aux grandes mains osseuses, qui ne parut
aucunement surprise de voir surgir un inconnu dans sa cuisine. Debout à une
table, elle rasait un singe.
    « Qui êtes-vous ? demanda-t-elle en lui accordant
à peine un coup d’œil.
    — Un ami. »
    Un sourcil sceptique se dressa. « Nous n’avons pas
d’amis ici », répliqua-t-elle sèchement en soulevant le bras droit du
singe étonnamment docile pour passer le coupe-chou d’une main experte sur son
aisselle enduite de mousse.
    « Je ne suis pas d’ici.
    — C’est bien ce qui me semblait. » À présent, elle
rasait le ventre, et Liberty remarqua intrigué l’extrême blancheur de l’animal.
    « M. Maury est là ?
    — Ça dépend de quel M. Maury vous parlez.
    — Asa, répondit-il en enjambant agilement son
hésita-don initiale – le nom, prononcé à voix haute, lui laissait un goût
de gibier sur la langue.
    — Ah, lui ! Oh, ça, pour sûr, il est bien
là. »
    Liberty attendit, le silence s’étira, scratch scratch, faisait
le rasoir, j’ai beaucoup souffert, disaient les yeux dolents du singe, et quand
il fut clair qu’il ne pouvait espérer aucun complément d’information, Liberty
s’enquit poliment : « Et où puis-je trouver ce
M. Maury ? »
    Elle poussa un soupir prolongé. « J’imagine que le
docteur est à son poste

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