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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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habituel, derrière, à s’occuper de ses affaires.
    — Le docteur ? balbutia Liberty, étonné de ce
titre jusque-là étranger à toute cette branche de la famille, du moins à sa
connaissance. Docteur en quoi, si je puis me permettre ? »
    La question suscita un chaos incohérent de gloussements
lugubres et de syllabes avalées.
    « Excusez-moi, je n’ai pas saisi…
    — J’ai dit : le mieux, c’est d’aller l’interroger
vous-même, et vous verrez bien qu’il se proclame le plus balèze des Professeurs
en Négrologie de toute la création.
    — Vous n’allez quand même pas me dire qu’on délivre des
diplômes dans cette discipline absurde ?
    — C’est pourtant ce que disent les Blancs. Et ils ont
pas peur de professer. D’ailleurs, y en a toute une brochette. Ils ont un
professeur de soleil, un professeur de chats, un professeur de misère, tout un
tas de professeurs distingués, et à eux tous ils ne savent rien. »
    Elle lui indiqua la piste à suivre : à partir du
potager, longer le bouquet de poiriers flétris, passer entre le fumoir et le
poulailler, traverser les quartiers des esclaves, le cimetière, et continuer
tout droit jusqu’au vallon et à la cabane de bois isolée qu’elle désigna avec
emphase comme « le cabinet du Dr Maury », lui conseillant en outre de
faire du raffut à son approche, car le docteur n’appréciait guère qu’on
l’interrompe inopinément dans son travail.
    « Et de quel travail s’agit-il au juste ?
    — Je préfère ne pas le savoir, maugréa-t-elle en
essuyant le rasoir sur une serviette sale. Et si vous êtes aussi malin que vous
en avez l’air, vous devriez faire comme moi.
    — Je suis d’un naturel curieux », expliqua Liberty
en lui adressant un sourire penaud.
    Elle braqua sur lui un regard rompu à la pitié, et la
clairvoyance de ses yeux chassieux le réduisit un instant à l’enfant ignorant
qu’il croyait ne plus être depuis longtemps ; dans cet intervalle de
distraction, la main de la femme dérapa, le singe hurla et, laissant un sillage
luisant de sang qui jaillissait de sa coupure à la cuisse, il bondit hors des
bras fiévreux de sa maîtresse pour escalader agilement une armoire : de ce
perchoir, il fusilla du regard les deux humains désemparés, en découvrant ses
canines.
    « Bien affûté, ce rasoir », commenta Liberty.
    L’instrument tomba bruyamment dans le bol de porcelaine et
le bol valsa par la porte ouverte tandis que la femme déversait un torrent
d’obscénités hautes en couleur comme Liberty en avait rarement entendu, même
dans la bouche jaunie de tabac du plus aguerri des vétérans. Du haut de son
refuge, le singe émit une série de caquètements où perçait une indubitable
moquerie, assaisonnant ses insultes d’une généreuse pluie de salive simiesque.
Furieuse, consumée par une rage aveugle, la femme réagit en le bombardant
allègrement de tout ce qui lui tombait sous la main, poêles, casseroles,
assiettes, tasses, légumes en tout genre, un maillet de bois, et même une de
ses chaussures, un lourd brodequin d’homme, autant de projectiles que l’animal
esquivait habilement.
    « Eh bien, madame, dit Liberty en portant la main à sa
casquette, je vous souhaite bonne chance.
    — De la chance  ? cria-t-elle en se
préparant à escalader l’armoire. Accablez-moi plutôt de vos malédictions !
C’est votre chance qui me porte malheur ! »
    Sitôt dehors, Liberty fut confronté à deux énormes molosses
assortis, qui manifestement n’avaient aucun lien avec le toutou galeux qui
somnolait sous la véranda. Ils étaient assis telles des statues inertes au
milieu du chemin, et leurs yeux froids couleur olive l’étudiaient comme s’il
était un lapin prêt à décamper. « Du calme, mes jolis », dit-il de sa
voix la plus joviale, tendant la main dans un geste de paix. Alors, brusquement
et sans cérémonie, comme si c’était prévu depuis le début, l’un des chiens se
leva, trottina jusqu’à Liberty et lécha sa main tremblante. C’est parce que je
suis de la famille, se dit-il : ils flairent en moi une odeur de famille.
    Dans la brume lointaine d’un champ fraîchement labouré, un
homme solitaire frappait une mule à coups de bâton : il y allait de bon
cœur, comme si le flanc de la bête était une enclume, et le bout de bois un
marteau de forgeron. Apercevant Liberty, il interrompit son effort pour lui
crier quelque chose d’incompréhensible. Liberty agita

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