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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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avoir subi
une fâcheuse dégénérescence ; mais je vais vous dire une chose :
j’évolue en ce monde depuis sept décennies et j’ai appris, sur le tas et à la
dure, que ce superbe produit des arts métallurgiques » – il désigna
le Colt – « est plus fiable, plus digne de confiance que nos plus
proches parents.
    — Êtes-vous Asa Maury ?
    — Qu’est-ce que ça représente, un nom ? » Il
dévisagea son visiteur avec une perplexité détachée, amusée. Sur une étagère
au-dessus de sa tête, rangés par ordre de taille, s’alignaient en bon ordre des
crânes luisants d’espèces et de dimensions variées, en contrepoint muet à
l’agitation persistante des nombreuses cages en fil de fer éparpillées dans
cette tanière surchargée, où grognait, criait, trottinait et s’ébattait une
extraordinaire collection de créatures exotiques à plumes, à poil et à écailles.
    « Aurais-je donc parcouru des centaines de kilomètres,
au risque d’être blessé, emprisonné ou pis encore, pour me contenter d’une
joute verbale ?
    — Et à supposer que je sois le gentleman que vous
dites, qu’attendez-vous de moi ?
    — J’ai pensé, peut-être naïvement, que la plus
élémentaire courtoisie exigeait que je vous rende visite, tout autant qu’une
simple curiosité bien humaine, et le besoin pressant qu’a l’âme de comprendre
ses origines. Je comptais, après toute une vie à absorber des anecdotes légendaires
sur cet homme prodigieux, rencontrer enfin face à face cette légende, mon
grand-père maternel. Et franchement, monsieur, je m’attendais à un accueil un
peu plus enthousiaste que celui que je reçois.
    — Vous êtes bien éloquent, pour quelqu’un de si juvénile. »
    Liberty s’autorisa un léger sourire. « Je descends
d’une longue lignée de beaux parleurs.
    — Ah, médita-t-il, faisant craquer son fauteuil, il
s’agit donc d’une assemblée des clans, d’un rattachement des deux branches
sectionnées, celle du Nord et celle du Sud. D’une paix anticipée. » Il
lança un regard interrogateur à Liberty.
    « C’est du moins ce que j’avais espéré.
    — Ah, l’espoir, denrée rare et précieuse ! Sans
lui, il est difficile de supporter les épreuves de chaque jour. » Il
tripota la masse pourrissante de livres, revues, plaquettes et papiers empilés
pêle-mêle sur le bureau. « Avez-vous eu l’occasion de parcourir le Crania Americana de Morton, une monographie qui a fait date sur un sujet
fascinant et inépuisable ? Je vous le recommande chaudement, et j’en
cautionne personnellement chaque phrase. » Il fourra dans la main tendue
de Liberty un volume gondolé qui exhalait une odeur de moisi et poursuivit d’un
ton affable : « Dites-moi, avez-vous déjà, dans votre existence
certes brève, accordé quelque réflexion au sujet de la race ? Je parle
d’une réflexion sérieuse, bien sûr, pas du babil futile des politicards et des
gratte-papier de la presse. J’ai consacré toute une vie d’efforts à cette
question lancinante, et je suis parvenu à des conclusions quelque peu
provocantes. » Du capharnaüm qui couvrait le bureau, il extirpa une boîte
de maroquin ouvragé. « Un cigare, peut-être ? »
    Liberty déclina. À cet instant, il ne se sentait guère
d’humeur joviale, encore moins enclin à jouer les gentlemen, et ne désirait
nullement s’abandonner à l’aimable causerie postprandiale (comme on les
affectionne dans les clubs) que son « grand-père » (car qui d’autre
ce ridicule vieillard pouvait-il être ?) tentait si obstinément de lancer.
    « Difficile de s’en procurer en ces temps de pingrerie,
dit-il en humant un long cigarillo épais. Cubain, naturellement. Vous seriez
étonné d’apprendre tout ce qui parvient à franchir le blocus. Vous
permettez ? » Et il se pencha vers la lampe pour enflammer le tabac,
évaluant silencieusement Liberty d’un regard en coin, à travers les nuages de
fumée qui ajoutèrent une note toxique à la cacophonie olfactive qui lui
agressait déjà les narines.
    « Comme je le disais, reprit le vieil homme, en me
fondant sur des recherches érudites, poussées et exhaustives, j’ai conclu,
quoique à contrecœur, que la prétendue race noire constitue en fait une branche
distincte et autonome de l’arbre de l’évolution : une branche délaissée,
en friche, jamais élaguée, complètement flétrie. Mais quid alors de la Genèse,
me direz-vous, et du récit,

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