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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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la main et se remit en
marche. Le soleil malicieux, qui avait usé la matinée dans une joyeuse partie
de cache-cache avec d’épais nuages, perça brièvement, inondant la sombre
plantation d’une lumière si soudaine et si pure qu’elle semblait une
authentique bénédiction. Et puis un nuage s’interposa, le soleil s’éteignit, et
tout retourna à sa déchéance naturelle.
    Le sentier, comme promis, le conduisit par-delà les quartiers
des esclaves (où sa marche fut surveillée depuis les seuils par les yeux ronds
et omniscients d’enfants à demi nus), le cimetière populeux aux tombes décorées
de bouteilles, de calebasses, de morceaux de verre coloré, jusqu’à un vallon
d’un charme inattendu où se nichait, dans l’ombre bienvenue, une cabane anonyme
de tôle rouillée et de bois moisi. Liberty frappa hardiment à la porte érodée,
recula d’un pas et attendit. Il allait réessayer lorsqu’une voix peu amène,
comme surgie d’une caverne souterraine, cria un mot qui ressemblait vaguement
à : « Ouais ! » Et puis, un instant plus tard :
« Eh bien, ouvrez la porte, bon Dieu, si vous voulez entrer ! »
Liberty obtempéra et pénétra dans un espace étriqué, sentant le renfermé, et
noir comme du charbon.
    « Et vous êtes qui, au juste, bordel de Dieu ?
demanda la même voix dans les ténèbres.
    — Monsieur, je m’appelle Liberty Fish, répondit-il en
s’avançant à tâtons.
    — Arrêtez ! » ordonna la voix, et une
allumette fut grattée et appliquée à la mèche d’une lanterne, faisant émerger
de l’obscurité odorante les contours d’une pièce, un bureau encombré et,
derrière, comme flottant dans les airs, une grande tête ridée couronnée d’une
masse désordonnée de cheveux d’un blanc lumineux, avec, en guise d’yeux, deux pierres
d’obsidienne polie où s’assemblait farouche tout un ciel de nuit. Une fois son
œil accoutumé à la lumière sourde de la flamme vacillante, Liberty remarqua que
cette tête était rattachée à un corps d’une sveltesse juvénile, ce corps à un
bras musclé, et ce bras à un revolver imposant, du modèle réglementaire en
usage dans la marine.
    « Moi, je vous lorgne très bien d’ici. La lampe, c’est
pour vous. Je pourrais m’en passer.
    — Vous êtes doté d’une vue exceptionnelle.
    — Ne dites pas de bêtises. N’importe quel imbécile
pourrait en faire autant. C’est juste une question d’entraînement. » Il se
pencha vers la lumière, et ses traits se réorganisèrent en une image plausible
de bon vieillard. « Ça ne vous arrive jamais, rien que pour le plaisir, de
rester seul dans le noir pour ruminer ?
    — Ruminer ?
    — Ce monde absurde et sens dessus dessous regorge de
problèmes qui gagneraient à être illuminés par les réflexions d’un esprit
supérieur.
    — Je crois que je préfère goûter la chaleur d’un bon
feu en bonne compagnie.
    — Ça ne m’étonne pas. J’ai remarqué vos bosses, vos
organes crâniens. Ils témoignent d’un caractère essentiellement amatif et
vitatif. Asseyez-vous, ajouta-t-il en pointant le pistolet vers un fauteuil où
s’empilaient de gros volumes anciens. Balancez ces saloperies par terre. J’en
ai fini avec ça. Comme vous avez pu le remarquer, mes quartiers, forcément
hermétiques, sont aussi un tantinet confinés, de façon inversement
proportionnelle à l’ampleur de la tâche que j’y accomplis. Mais bon, les
esprits originaux ont souvent été privés du cadre et de l’équipement qu’ils
méritaient. »
    Liberty souleva la lourde pile de livres, dont les titres
insolites dansèrent vertigineusement devant ses yeux perplexes : Les
Origines orientales des peuples celtiques, Histoire des Anglo-Saxons,
Antiquités nordiques, Traité des origines et de l’évolution des Scythes ou
Goths, Les Principes authentiques de la morphologie saxonne ou anglaise, Récit
de la progression naturelle de l’homme.
    « Il faut suivre la ligne teutonique, mon garçon, voilà
le conseil que je vous donne. C’est là qu’est le progrès, là qu’est
l’évolution. »
    Une fois installé dans le fauteuil, Liberty se retrouva dans
une proximité un peu trop intime avec le revolver. « Excusez-moi, cette
arme est-elle vraiment nécessaire ?
    — Sans doute pas. » Il posa le pistolet sur le
bureau avec une délicatesse exagérée. « En raison d’un contact amoindri
avec l’influence modératrice de la société, mes manières semblent

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