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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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à une négresse ! gronda-t-il
furieusement. Comme si c’était une princesse.
    — Je vous en prie », l’adjura Liberty dans un
accès d’émotion qui le surprit lui-même, après tant de temps à ne rien dire, à
ne rien faire. « Je vous demande de ne plus jamais employer ce mot
haïssable en ma présence. Il souille jusqu’à l’air que nous respirons.
    — Puis-je vous rappeler, monsieur Fish, mon jeune ami,
que je détiens encore une arme, qui à l’instant où je vous parle est braquée
droit sur votre cœur ?
    — Vous n’oseriez pas me tuer, même si vous pouviez voir
la cible.
    — Et pourquoi cela, je vous prie ?
    — Parce que cela gâcherait votre grande expérience
d’élevage humain.
    — Mais je n’ai peut-être pas toute ma raison, comme
vous l’avez vous-même suggéré plus d’une fois, et quelque débordement du cœur
pourrait fort bien faire vaciller les derniers piliers branlants, auquel cas
mon doigt risque d’agir en toute indépendance, hors de tout contrôle de mon
cerveau.
    — Alors priez pour viser juste. »
    Le rire étouffé de Maury résonna dans l’espace clos comme un
vilain hoquet. « Je vous taquine, mon garçon. Jamais je ne toucherais à un
cheveu de votre précieuse tête de métisseur. D’ailleurs, votre crâne a des
bosses prometteuses. Mais, s’il vous plaît, abstenez-vous de me répondre sur ce
ton. L’insolence vous sied mal, et elle m’irrite le sang.
    — Vous pourriez tout de même montrer un semblant de
considération pour la sensibilité de vos compagnons.
    — Vous êtes aussi fougueux que votre mère. »
    Le sol tremblait, le navire avançait, et une rumeur de
sanglots étouffés parvint du recoin où se blottissait Tempie.
    « Qu’est-ce qu’elle a encore, celle-là ? gronda
Maury.
    — Elle veut sa maman, répondit Monday d’une voix sourde
et funèbre.
    — Comme tout le monde ! murmura Maury d’un ton
méprisant. Tout le monde veut sa maman. Mais la vie est une épreuve.
    — Dont vous fixez les règles, glissa Liberty.
    — Il n’y a pas beaucoup d’hommes, dans cette satanée
existence, qui comprennent pleinement la distinction entre le bien et le mal.
    — Vous ne comprenez rien.
    — Et c’est un pied-tendre comme vous qui prétend me
montrer le droit chemin en ce monde ?
    — Votre monde, Dieu merci, est à présent défunt.
    — Chut ! fit sèchement Maury. Taisez-vous !
Qu’est-ce que c’est que ça ? »
    Personne n’osait bouger ni parler, tendant l’oreille aux
sons ténus et incongrus qui leur parvenaient sur les flots : un chœur de
voix d’hommes chantant à l’unisson, avec accompagnement à la flûte et au
violon ; l’air gagna peu à peu en volume pour être bientôt
reconnaissable : l’inusable et joyeuse comptine Il court, il court, le
furet.
    « Des marins fédéraux, murmura Liberty. Et ils sont
près, tout près.
    — Si quelqu’un ose ne serait-ce que couiner, avertit
Maury, il sentira mes doigts autour de sa gorge. »
    Les moteurs ralentirent ; la musique cessa. Dans
l’intervalle de silence, Liberty crut entendre des rires, des conversations
même, mais les mots demeuraient hors de portée, indéchiffrables. Quelque part
derrière cette coque terriblement fine – « un tiers de pouce d’acier
trempé de Birmingham », s’était vanté le capitaine – rôdait une
frégate nordiste, et tout son potentiel de mort. Feignant un calme
imperturbable, il attendit stoïquement le premier obus. Après tous ces mois où
il s’était préparé à accueillir la mort dans une plaisante clairière
ensoleillée, il était quelque peu dérouté à l’idée qu’elle le trouve dans une
boîte métallique flottant sur la mer à minuit.
    Soudain, du recoin où se tenait Tempie surgit un trémolo
perçant, un cri d’animal solitaire tel qu’on en entend dans les forêts de
l’Ouest au cœur de l’hiver, quand la température chute et que la nourriture est
rare, et qui monta rapidement en volume jusqu’à ce qu’une brève mêlée et un
hoquet étranglé y mettent fin brusquement, sur quoi le silence fut troué par la
voix reconnaissable de Maury, rauque, menaçante : « Arrête de
chialer, misérable donzelle, ou je t’arrache la langue sur-le-champ, avec la
lame dont je me servais pour donner une bonne leçon à ta mère. Et maintenant,
hoche la tête si tu es d’accord, et je te lâcherai. Hoche la tête. C’est ça,
oui, très bien, respire, voilà, ça va, tout

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