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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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sourcils de Wallace,
comme le reste de ses traits étonnamment mobiles, semblaient spécialement
conçus pour produire un effet théâtral maximal : ils glissèrent
brusquement vers le haut, puis redescendirent en un déclic presque audible.
    « Je suis disposé à payer, et à payer grassement, cette
faveur. J’ai de l’argent. Des dollars. Par baluchons entiers.
    — Moi aussi, monsieur Maury, moi aussi.
    — Mais on n’en a jamais trop.
    — Monsieur Maury, laissez-moi vous faire comprendre un
fait essentiel. Votre misérable petite algarade entre États a été pour moi,
comme pour une foule alarmante d’hommes sans scrupules, ce que vos snobs
appellent un “ticket gagnant”. Remédier à vos privations a fait de moi un
multimillionnaire. Je n’ai pas besoin de vos dollars et, je le crains, je n’ai
pas besoin de vous. » Son attention se reporta sur les deux jeunes gens.
« Vous voyagez en compagnie bigarrée, dites-moi. C’est votre fils ?
    — Mon petit-fils.
    — Étonnant. Ils pourraient presque être frère et sœur,
n’était la différence évidente de, euh… de couleur de peau, naturellement.
    — Votre prix sera le mien.
    — Le Cavalier, monsieur Maury, comme vous avez
certainement dû le remarquer, n’a rien d’un bateau de croisière. Dans quelques
heures, nous allons mettre le cap sur Nassau, dans les pires conditions
imaginables, en emportant ce qui sera sans doute la dernière cargaison de coton
à quitter cette malheureuse ville. Mais pourquoi elle tremble, cette pauvre
fille ?
    — Elle est d’une nature inquiète. Écoutez, capitaine,
si c’est une question de place, je serai ravi de vous payer toute somme qui
vous paraîtra raisonnable pour occuper ne serait-ce qu’un espace sur le pont,
mais il est impératif que mes accompagnateurs et moi-même quittions Charleston
le plus vite possible. »
    Le regard audacieux et intense de Wallace, même quand il
s’adressait à Maury, voletait dans la cabine tel un oiseau captif, sans trouver
de meilleur perchoir que la personne à peine vêtue de Tempie, qu’il explorait
dans tous ses charmants détails. La sentant mal à l’aise, Liberty s’avança pour
lui faire un rempart de son corps. Le charme rompu, Wallace revint à la requête
de Maury. « Par les temps qui courent, les impératifs sont aussi nombreux
que les palmiers nains dans les marais. Et à peu près aussi utiles. Mais il se
trouve effectivement qu’il me reste une unique cabine, à mon grand regret, car
elle était réservée pour une certaine jeune dame. Seul un amoureux ou un fou
oserait défier ces eaux infestées de patrouilles, et je relève, hélas, des deux
catégories. C’est elle qui m’a fait signe, qui m’a attiré sous le feu des
canons. Et on l’a échappé belle, d’ailleurs. Le tir d’un croiseur yankee a balayé
le subrécargue et cinq barils de clous de cercueil, denrée dont notre
Confédération assiégée a cruellement besoin, ai-je cru comprendre. » Il
semblait perpétuellement cligner de l’œil, même quand ce n’était pas le cas.
    « Et c’est quoi, au juste, un “subrécargue” ?
demanda Liberty.
    — Pas “quoi”, mais “qui”. M. Perkins était le
représentant à notre bord de l’armateur, le bras droit de Fraser Trenholm. Un
homme maniaque et pédant, mais incontestablement courageux. Il avait survécu à
une dizaine de traversées, deux naufrages, et un arraisonnement qui avait
culminé par un séjour bref mais plaisant entre les murs de la prison de Ludlow
Street, à New York. Malgré tout, je n’ai jamais eu beaucoup de sympathie pour
lui. Un monsieur très amer, de l’écorce à la pulpe. Et il désapprouvait qu’il y
ait des dames à bord. Il n’en voyait pas l’intérêt. Nous avons failli en venir
aux mains lors de ce voyage, vous savez. Mais peut-être a-t-il senti l’aile du
destin, une prémonition ou quelque chose du même tonneau. Nous autres, vieux
loups de mer, sommes sujets aux messages divins, aux annonciations angéliques
et autres rêves prophétiques.
    — Les soldats aussi, intervint Liberty.
    — Oui, les soldats aussi. À force de se tenir au bord
du précipice, même un aveugle finit par avoir un aperçu de l’horizon. Peut-être
que Perky, dans son lit à Liverpool, a vu venir la balle qui lui était
destinée. Je n’en sais rien. Triste histoire, tout ça. De terribles pertes dans
les deux camps. Du moins mon Ellen compte encore parmi les vivants, même si,

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