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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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fois
sincèrement amusé. Se protéger les uns des autres.
    — Et où allons-nous exactement ?
    — Là où l’on respecte encore les droits de l’individu,
et où l’on est conscient qu’il ne faut pas piétiner l’institution divine,
sacrée et nécessaire que constitue l’esclavage.
    — Et où peut bien se trouver ce paradis
terrestre ?
    — Au Brésil », répondit Grand-père.
    Il fit pivoter l’étalon et guida chariot et cavalier
jusqu’au bout de l’allée, pour s’élancer dans la nuit pesante.

 
21
    La marée était haute, le ciel était bas, le vent un simple
murmure, lorsque Asa Maury et sa compagnie maussade – qui n’avaient pas
échangé un mot durant tout le trajet ballotté – atteignirent, échauffés et
épuisés, la géométrie bizarrement délabrée des docks de Charleston. « Un
temps idéal pour s’évader, approuva Maury en considérant l’eau silencieuse et
noir pétrole, les nuages sombres et troubles.
    — Balivernes ! rétorqua un Liberty avide d’en
découdre. Même sans lune, quel vaisseau, fût-il habilement piloté, oserait
défier le blocus à ce stade de la guerre ? Le port est bouché comme une
bouteille de vin français depuis la chute de Morris Island.
    — Tout à fait exact, répondit Maury avec un sourire
rusé. Je constate que vous autres, les gars du Nord, outre vos merveilleuses
réalisations dans le domaine de l’art et de l’industrie, êtes également
capables de lire le journal. Mais entendez-moi bien : “impossible” est un
mot réservé à la populace. Je ne m’intéresse qu’au singulier, à l’“unique”, car
il y a toujours un individu “unique”, quelqu’un qui dit non au non, et pour qui
le grand jeu grisant du lièvre et de la meute avec la flotte fédérale est loin
d’être terminé. Voilà l’homme que je cherche, et que je trouverai. Tenez,
regardez-le, invoqué par mes seules pensées ! » Il pointa un doigt
osseux vers un quai à une centaine de mètres, où les lueurs changeantes de
quelques lanternes dévoilaient les longues lignes basses d’un vapeur étroit
comme une lame de couteau, et une activité ténébreuse inhabituelle à pareille heure.
« Les signes croissent et se multiplient. Que dit le sceptique en vous,
jeune freluquet ? Méditez comme la Providence favorise toujours mes
desseins. Ma tête auréolée d’argent est la couronne de l’élu. Venez, allons
trouver le capitaine. »
    Laissant leurs montures et leur butin entre les mains de
Monday, Maury conduisit son petit-fils et l’épouse putative de ce dernier vers
le bateau, le CSS Cavalier à en croire les enjolivures de la plaque
gravée à la proue : sur chaque pont s’entassaient déjà des balles de coton
de trois cents livres. Il bouscula sans vergogne l’équipe renfrognée et suante
d’esclaves à demi nus qui transportaient laborieusement d’autres balles sur la
passerelle grinçante, mais qui s’interrompirent dans leur labeur pour
contempler ce curieux spectacle : un vieux Blanc bizarre qui escortait à
bord un jeune Blanc à l’air sombre et une gamine noire éplorée avec toute
l’assurance impérieuse d’un armateur effectuant une inspection surprise.
    Sur les indications d’un matelot revêche qui n’avait qu’un
œil et une dent et qui, sitôt éloignés ces inconnus, se pencha, cracha
soigneusement à l’endroit même où s’était tenu Maury, puis entreprit de frotter
la salive tiède pour que le bois l’absorbe, ils trouvèrent le capitaine, un
dénommé Wilbur Wallace, seul dans la cabine de pilotage, mâchonnant un cigare
éteint et lisant un numéro du London Times vieux d’un mois. « Ça se
présente mal pour notre camp, messieurs, annonça-t-il tout joyeux en repliant
le journal pour le jeter négligemment sur la table de navigation. Je crois même
que nous avons capitulé la semaine dernière. »
    Son rire retentit comme une explosion de bouteilles de
champagne. Ce bruit contagieux contenait une promesse d’allégresse éternelle.
    Après les présentations et poignées de main obligées, durant
lesquelles le regard perçant de Wallace s’attarda brièvement sur la timide
Tempie, dont l’attention demeurait fixée, comme toujours, sur ses pieds nus,
Maury passa promptement aux choses sérieuses. « J’ai besoin, monsieur, que
vous preniez immédiatement à votre bord quatre passagers pour les conduire
jusqu’à votre destination, quelle qu’elle soit.
    — Tiens donc ? » Les

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