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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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voguerait ainsi, ferme et
miraculeux, jusqu’aux rives du Jugement, et Liberty, tout jeune qu’il était, se
trouvait fort chanceux d’avoir eu son billet.

 
11
    Sa mère. Jamais Liberty ne se lassait de scruter son visage,
au climat toujours changeant, où passaient comme des nuages humeurs et
expressions qui en altéraient temporairement la surface mais non la géographie
profonde et permanente, formée de réconfort, de bonté et d’amour, et dont les
traits même brouillés persistaient à travers les orages, les nuées, les brumes
tenaces, le ciel chargé qui le déroutaient et l’inquiétaient. Par ce temps-là,
elle lui semblait parfois quelque peu absente, comme si la part d’elle-même qui
en faisait sa mère s’en était allée dans quelque autre royaume. Elle se
balançait dans son fauteuil, sous la véranda, et Liberty lisait à ses pieds,
quand soudain elle lâchait d’une voix trop claire et artificielle :
« Mon Dieu, les pâquerettes sont bien hardies aujourd’hui. » Au fil
du temps, Liberty finit par comprendre qu’en ces moments elle était de retour
en Caroline. Il en vint à redouter l’arrivée périodique de ces enveloppes
couvertes de pattes de mouche à l’encre violette qui attendaient parfois des
jours sur la table de l’entrée que Roxana, impulsivement, comme en passant,
s’en saisisse, déchire l’enveloppe, en lise fébrilement le contenu, fonde en
larmes et se réfugie dans sa chambre, laissant derrière elle un fils effrayé et
perplexe. Si Thatcher était à la maison, il la rejoignait à l’étage, et ce qui
se jouait derrière la porte close, laissant échapper les sanglots incontrôlés
de sa mère, était pour Liberty un profond et troublant mystère.
    « Qu’est-ce qu’elle a, Maman ? demanda-t-il un
jour d’une voix tremblante à Thatcher lorsqu’il émergea, le visage sombre, de
la chambre parentale.
    — Viens avec moi », répondit son père, qui le mena
dans son bureau et en referma la porte. Ils s’assirent face à face, à un mètre
de distance à peine ; les gambettes de Liberty ne touchaient même pas le
tapis couleur bordeaux.
    « Ta mère, il y a bien des années, a été contrainte par
des circonstances pénibles de quitter ses parents et de venir vivre ici, dans
l’État de New York. Ce fut terrible pour elle. Personne n’a envie de fuir sa
famille. Et quand cela arrive, parfois, les gens pleurent.
    — Alors pourquoi Maman ne retourne pas
là-bas ? »
    Thatcher soupira. « Ce n’est pas possible »,
parvint-il à dire. Il parut incapable de poursuivre.
    « Pourquoi ?
    — Parce qu’on lui a fait du mal. Elle ne veut plus voir
ses parents, et ils ne veulent plus la voir. »
    Le visage de Liberty trahit ses efforts pour digérer cette
révélation incongrue. « Moi, je voudrai toujours vous voir. »
    Thatcher sourit. « Je sais. Et ta mère et moi, nous
voudrons toujours te voir. Mais tu sais, Liberty, parfois il y a des désaccords
entre les membres d’une même famille, et parfois ces désaccords deviennent si
grands que les gens ont du mal à se voir ou à se parler. Tu comprends ?
    — Est-ce que la mère de Maman l’aime ?
    — Oui, bien sûr qu’elle l’aime, mais malheureusement
l’amour ne protège pas toujours les gens des malentendus ou des désaccords. Et
alors, parfois, on dit ou on fait des choses qui peuvent être difficiles à
pardonner. »
    Liberty médita quelque temps ces paroles. « Est-ce que
c’est à cause de l’esclavocratie ? » demanda-t-il enfin.
    Thatcher prit un air grave. « Oui. »
    Par la suite, chaque fois que Liberty apercevait sur la
desserte l’une de ces sinistres lettres à l’encre violette, il la fourrait dans
sa chemise, filait dans sa chambre et la cachait sous son matelas.
    Et puis, un après-midi, Roxana convoqua son fils au salon,
lui ordonna de s’asseoir et brandit une poignée d’enveloppes. « Qu’est-ce
que ça veut dire ? » l’interrogea-t-elle.
    Liberty haussa les épaules. « Je ne sais pas »,
répondit-il, préférant étudier le motif du tapis plutôt que le regard pénétrant
de sa mère.
    « Comment ça, tu ne sais pas ? Ces enveloppes
étaient dissimulées dans ton lit. Est-ce qu’elles sont à toi, ces
lettres ? Est-ce qu’elles te sont adressées ?
    — Non.
    — Alors que faisaient-elles en ta possession ?
    — Je ne sais pas », répéta-t-il, et malgré ses
efforts héroïques pour les contenir les larmes se mirent à

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