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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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qu’elle fût,
refuserait obstinément de toucher la moindre goutte de ce liquide infâme,
manifestait ainsi un discernement supérieur ; mais la plus stupide des
trois créatures restait naturellement l’âne, ce bipède insensible et insensé
qui collait laborieusement au derrière poilu d’animaux plus évolués, sous le
vent, en aval, en contrebas, en se nourrissant exclusivement de jurons éculés
et de fadaises faisandées.
    Lors du débat qui s’ensuivit, Thatcher remarqua par hasard
l’œil aiguisé d’Augusta qui les observait de l’autre bout de la pièce : le
père aux mille tours et le fils « muet » bavardaient allègrement. Il
s’avoua démasqué en lui lançant, par-dessus les têtes monacalement inclinées
des convives, un regard qui disait clairement : Oui, madame, je vous fais
toutes mes excuses, nulle contrition n’est plus sincère que la mienne, nous
nous sommes simplement laissé entraîner dans – comment dire ? –
un accès irrésistible de bonne vieille malice cent pour cent américaine.
    Vers neuf heures, tandis que M me  Callahan et
des matelots disponibles s’affairaient à convertir la salle à manger en
dortoir, poussant les tables au centre de la pièce, fixant aux murs des
couchettes guère moins étroites que des étagères de bibliothèque, tirant le
rideau rouge d’une intimité illusoire entre les hommes à l’avant et les femmes
à l’arrière – mais le moindre grognement, chuchotement, ronflement, pet ou
soupir rêveur serait perçu de tous –, et alors que les voyageurs aguerris
tiraient déjà au sort les lits et se disputaient la préséance dans l’usage de
la brosse à dents collective, Liberty et son père s’installèrent sur le toit
pour contempler l’avènement de la nuit. Le soleil s’embrasa, enfla, sombra
lentement, rougissant la courbe du ciel, les flancs des nuages à la dérive,
teintant l’air même d’un tendre rose saumon. Des hirondelles voletaient dans
les ténèbres en marche, gobant les moucherons qui grouillaient au-dessus du
bateau, où l’on faisait passer un panier de feuilles de pouliot à frotter sur
les mains et le visage pour repousser les insectes. Quelqu’un avait sorti un
violon, autour duquel s’assembla bientôt un chœur improvisé de chanteurs
amateurs, qui se découpaient en noir sur les derniers feux du jour ; alors
les accents familiers de Old Folks at Home s’élevèrent face à la nuit en
harmonies fluides, compétentes, inoubliables, et l’on put croire que le monde
et toutes choses en ce monde étaient liés par une mélodie propre, persistante
quoique souvent indistincte, dont les traces hantaient jusqu’aux cadences
sentimentales d’une chanson populaire à la mode, et lorsque la note finale
s’évanouit dans un pur silence prolongé, tout bruit, tout mouvement par-delà le
bateau et les mules parut cesser – même les objets inanimés retenaient
leur souffle ; et dans cet intervalle apaisé glissait, silencieux comme
une ombre, le long vaisseau gracieux aux passagers envoûtés, comme dans une
caverne magique creusée à même la nature, et puis l’archet frappa les cordes
(les premières mesures de Turkey in the Straw) et le charme fut rompu,
et le temps retomba sur les épaules des voyageurs telle une cape d’une texture
si fine et soyeuse qu’on en oubliait sa présence, son lent travail d’usure,
sauf aux trop brefs moments où l’on s’en dévêtait. Au-dessus des frondaisons,
le sourire en faucille d’un croissant de lune flottait rayonnant, dans un
sillage de feu glacé. Les étoiles se mirent à percer le tissu noir du ciel, et
chaque trou d’épingle n’était que la pointe d’un élan sans limites. Sur les
tronçons en terrain plat, Liberty voyait s’étirer le somptueux canal
scintillant où s’alignaient, en une symétrie presque impeccable, les lampes
tendrement luisantes des autres bateaux qui rapetissaient vers l’horizon du
couchant, panorama flottant auquel répondaient les feux des bateaux suivants,
qui émergeaient l’un après l’autre, inépuisables et majestueux, des ténèbres de
l’amont pour entrer sans peur dans le noir néant de l’aval, et il y eut un
moment durable où il comprit absolument, comme seul le cœur peut s’en
convaincre, qu’ici et maintenant, en cette fin parfaite du plus beau jour de sa
courte vie, il se joignait à un glorieux cortège au but énigmatique qui suivait
le courant depuis des siècles sans nombre, et qui

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