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La polka des bâtards

La polka des bâtards

Titel: La polka des bâtards Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Wright
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couler sur ses
joues.
    Roxana se précipita, prit son fils dans ses bras et se mit
elle aussi à pleurer. « Ce n’est pas grave, dit-elle en lui caressant la
tête. Je comprends. »
    Liberty se dégagea pour la regarder dans les yeux, ces yeux
humides. « Je ne recommencerai pas. C’est promis.
    — Pardonne-moi, Liberty, dit-elle en s’essuyant le
visage avec son mouchoir. Je ne t’ai sans doute pas accordé suffisamment
d’attention ces derniers temps. Tu sembles bien avoir atteint l’âge d’entendre
l’histoire de ta famille. »
    Et c’est ainsi que, à dater de ce jour, chaque fois qu’elle
le jugeait approprié, Roxana raconta à son fils des épisodes du temps où elle
était jeune fille et vivait avec sa mère et son père et sa sœur et ses frères
dans une grande plantation au bord de la rivière Stono en Caroline du Sud, entourée
de chiens, de chats, de chevaux, de poulets et – où que l’on regarde, à
l’horizon lointain ou à ses pieds – d’une horde maussade d’esclaves noirs.

 
12
    Jamais la grande demeure ne lui plaisait autant que vue du
bateau remontant de Charleston, lorsque, au détour de la dernière courbe, les
grandes colonnes nues des cyprès s’écartaient magiquement pour dévoiler les
colonnes assorties de la véranda et les rideaux de la fenêtre de l’étage qui
ouvrait sur sa chambre. Il y avait dans ce cadre un mystère majestueux et un
romantisme lancinant qu’elle éprouvait viscéralement, tel un soupir fragrant
exhalé de tout son petit corps mince. C’était chez elle. Et elle ne pouvait
s’imaginer vivre ailleurs. Elle était née dans la chambre de ses parents, au
même étage, à quelques pas de celle qu’elle occupait à présent et où elle
comptait bien, un jour lointain, mourir. Et revoir ainsi, même après la plus
courte des absences, le paysage intime et les contours rassurants du domaine
familial était un plaisir sans égal dans une vie pourtant faite de plaisirs
petits et grands.
    Assemblée sur le quai, on voyait la foule habituelle de
serviteurs excités et accueillants, qui à l’approche du bateau se mirent à
hurler, ululer, crier, gémir, sautiller, entamer une danse extatique, frapper
dans leurs mains, bref, se conduire comme une tribu d’enfants indociles
attendant l’arrivée d’une cargaison de bonbons. Lorsque Roxana et sa mère
débarquèrent, elles furent aussitôt englouties par cette mêlée de corps, aux
doigts tendus pour leur effleurer les bras, le visage : la vieille
Sally-Maison, la cuisinière, agrippa Roxana par la nuque pour planter un gros
baiser humide sur sa joue rougissante tandis que Tom l’Éclopé, le fils du
charpentier, silhouette frêle et tordue par le rhumatisme, son accident et
moult maux inconnus qui le laissaient à peine capable de ramper, serrait dans
ses bras difformes les jambes de Roxana comme pour l’empêcher de bouger. Elles
s’étaient absentées moins d’une journée.
    M me  Maury mère leva les bras, fit claquer
ses mains sèchement et ordonna, de sa voix de maîtresse impérieuse qui à
l’occasion portait jusque sur l’autre rive : « Ça suffit ! Au
travail, tout le monde ! »
    Les sourires un peu trop larges, les piétinements un soupçon
trop comiques, toute l’ambiance de fête exagérée s’évanouirent comme par
enchantement et, tandis que la foule dégrisée se dispersait à contrecœur, seule
s’attarda une fillette à la peau tachée de boue, au front barré d’une hideuse
cicatrice.
    « Qu’est-ce que tu veux ? » aboya Mère, des
flammes bleues dans les yeux.
    La gamine fixait ses pieds nus et sales.
    « Allez, parle. Toi, tu es peut-être libre de paresser
toute la journée, mais il y a des gens dans cette famille qui ont des tâches à
accomplir. »
    Rassemblant tout son courage, la gamine demanda :
« Est-ce que la Maîtresse m’a rapporté de la ville un joli
ruban ? »
    Mère lâcha un long soupir exaspéré. « Non, je ne t’ai
pas rapporté de la ville un satané ruban. Quant à savoir ce qui t’a mis cette
idée dans le crâne, c’est un mystère, comme toutes les idées ridicules que tu
as sûrement là-dedans.
    — Mais la Maîtresse avait promis.
    — Certainement pas !
    — Si, Mère, vous aviez promis, dit Roxana. Vous lui
avez offert un ruban pour avoir aidé Lucy à briquer l’argenterie.
    — Je n’en ai pas le moindre souvenir. Voilà maintenant
que ma propre fille me corrige ? Insinuerais-tu par hasard que je

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