La Poussière Des Corons
équilibre
était détruit, mon petit monde venait de s’effondrer. Hagarde, abrutie, je promenais
autour de moi un regard incompréhensif, perdu.
A l’entrée de Charles, je ne pus que le regarder à travers
mes larmes. En me voyant dans un tel état, en constatant l’absence de Jean, il
comprit que quelque chose de grave était arrivé. Je vis ses traits se creuser, et
ses yeux clairs, qui ressortaient davantage dans son visage noir de charbon, se
charger d’inquiétude. Tout de suite, il s’écria :
— Il est arrivé quelque chose à Jean ?
Je secouai la tête. Lourde de désespoir, une houle
emplissait ma gorge et m’empêchait de parler. En deux enjambées, Charles vint à
moi, me prit aux épaules. Il me scruta, et je vis dans son regard un mélange d’anxiété,
de peur, de tendresse, de pitié.
— Pourquoi es-tu dans cet état ? Que s’est-il
passé ?
Il regarda autour de lui, désorienté, et reprit :
— Où est Jean ?
Je baissai la tête, et, dans un gémissement, je dis, très
bas :
— Il est parti…
— Parti ? Où cela, parti ? Comment, parti ?
Je me mis à pleurer. Charles, que l’intensité de mon
désespoir effrayait, essayait de comprendre :
— Calme-toi, je t’en supplie ! Que se
passe-t-il ? Où est-il parti ? Et pourquoi pleures-tu ?
Sa tendresse, sa sollicitude, me firent pleurer davantage. Je
me jetai dans ses bras, et là, sanglotai longuement. Je m’accrochais à lui, heureuse
de sentir, dans la tourmente où je me débattais, sa force, sa compréhension, son
amour.
Peu à peu, j’arrivai à retrouver un semblant de calme. D’une
voix entrecoupée, je lui racontai ce qui s’était passé. Je dis la violence de
Jean, et ses paroles emplies de haine, qui m’avaient fait si mal. J’étais si
malheureuse que j’aurais voulu hurler ma peine, ou alors, comme un animal
blessé, me réfugier dans un coin et me laisser mourir. Charles, comme moi, ne
comprenait pas. Atterré et furieux, il répétait :
— Si je tenais le salaud qui est allé lui
raconter ça !
Nous avons cherché, toute la soirée, qui pouvait être
responsable de ce gâchis, et nous n’avons pas trouvé. Nous étions seuls, Charles
et moi, à connaître la vérité, avec ma mère, Henri et Juliette. Nous tournions
en rond, nous nous posions inlassablement la même question : qui donc, mais
qui donc ? Ce ne pouvait pas être l’un de nous. C’était un homme, Jean
avait parlé d’un homme. Je ne voyais qu’Henri, et pourtant, quelque chose me
disait que ce n’était pas lui. Jean, d’ailleurs, avait assuré que ce n’était
pas Henri. Alors, qui ? Peut-être le mari de Juliette ?… Mais
savait-il la vérité ? Rien n’était moins sûr, Juliette ne lui avait
peut-être rien dit. Et puis, pourquoi aurait-il fait ça ? Je me torturais
l’esprit, je me rendais malade.
Le lendemain, qui était un dimanche, ma mère vint, comme d’habitude,
dîner chez nous. Une nouvelle fois, je racontai ce qui s’était passé. Elle fut,
elle aussi, atterrée. Elle voulut essayer de me consoler, et, finalement, se
mit à pleurer avec moi. Ma douleur devenait sienne, la même peine était dans
nos cœurs. Jean était perdu pour nous, et nous en étions inconsolables. Nous
reviendrait-il un jour ?
Je voulais l’espérer. Je me disais que le choc s’atténuerait,
ou qu’Henri le raisonnerait, et le renverrait vers moi. Je me disais qu’il
était mon enfant, qu’il ne pourrait rester longtemps loin de moi. Mais il ne
revint pas.
Dans la semaine, Juliette vint me voir. Henri lui avait tout
raconté, et elle me plaignait. Elle non plus ne savait pas qui avait dévoilé la
vérité à Jean. Ce ne pouvait être son mari, il n’était au courant de rien, et
de toute façon, me dit-elle, il n’aurait pas fait ça. Comme nous, elle s’interrogeait,
sans trouver de réponse.
Elle essaya, avec toute son amitié, de me réconforter :
— Prends patience, me conseilla-t-elle. Il faut
qu’il accepte ce qu’il vient de découvrir. Le choc a été rude, pour un
adolescent sensible comme lui. Comprends-le, Madeleine. Tu es sa mère, il t’avait
placée sur un piédestal, et subitement, tout se brise. Il souffre, il est
malheureux !
— Oh, Juliette, mon pauvre enfant ! Que
puis-je faire, dis-moi ? Je suis si malheureuse, moi aussi !
— Laisse-lui le temps de revenir. Henri m’a dit
que, pour le moment, il est totalement buté, il se braque dès qu’on essaie de
le
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