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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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pour lui. Je me rendais confusément compte
qu’il était malheureux ainsi enchaîné, privé de sa liberté naturelle, obligé d’exécuter
des tours pour amuser les gens, contre sa volonté, contre son instinct. Je
sentis quelque chose, de douloureux, comme une envie de pleurer, me gonfler la
poitrine. Je fus incapable de rester là plus longtemps. Je donnai un coup de
coude à Marie, je lui dis :
    — Je m’en vais.
    Sous son regard étonné et incompréhensif, je partis, comme
on fuit. Je courus jusque chez moi, et là, la boule qui m’obstruait la gorge
céda en gros sanglots désespérés. À ma mère qui s’inquiétait, je racontai la
scène que j’avais vue. J’expliquai maladroitement ce que j’avais ressenti. Elle
essaya de me consoler, de me faire comprendre qu’il était inutile de me mettre
dans un état pareil, que l’ours n’était peut-être pas si malheureux. Mais rien
n’y fit. Je continuai à pleurer sur l’ours.
     
    Je me découvris aussi d’une timidité maladive. En classe, j’avais
peur de répondre. Bien souvent, alors que je connaissais parfaitement la
réponse, je n’osais pas lever le doigt pour la donner. Je voulais le faire, mais,
en même temps, un sentiment proche de l’angoisse, que je ne pouvais m’expliquer,
me l’interdisait. Je préférais encore passer pour une ignorante.
    Lorsque j’entendais la maîtresse me dire : « Madeleine !
Au tableau ! », une peur subite me nouait la gorge, et, pendant
quelques instants, je perdais tous mes moyens. Il n’y avait plus que le vide
dans mon esprit. Au début, la maîtresse s’impatientait :
    — Alors ? Ça vient ?
    Et puis, peu à peu, l’une après l’autre, tout au long de ma
scolarité, elles se rendirent compte que je ne le faisais pas exprès, que seule
la timidité m’empêchait de répondre. Certaines d’entre elles renoncèrent même
complètement à m’interroger, se contentant de mon travail écrit qui, lui, ne
posait pas de problème.
    Comme je n’osais rien dire, certaines de mes compagnes de
classe en profitèrent. J’aimais l’étude, et j’apprenais facilement. J’étais une
élève sérieuse, je faisais bien mes devoirs et ne partais jamais pour l’école
sans savoir mes leçons. Ainsi, j’étais régulièrement la première de la classe, et
la maîtresse me prenait souvent comme aide, pour la seconder dans des petits
travaux.
    Je me rendis compte que deux ou trois élèves, aussi peu
intelligentes que paresseuses, en étaient jalouses. Elles se mirent à me
persécuter, me bousculaient dans la cour pour me faire tomber, cachaient mes
crayons, cherchant à me discréditer dans l’esprit de la maîtresse pour me faire
punir.
    Je supportais tout, ne disais jamais rien, et elles
recommençaient de plus belle, sûres de leur impunité parce que sachant-bien que
je ne les dénoncerais pas. Leur persécution finissait par me gâcher la vie, et
j’appréhendais leur méchanceté.
    Un jour, deux d’entre elles avaient réussi à me prendre mon
cahier d’écriture, qui devait être noté à la fin de la semaine. Lorsqu’elles me
le rendirent et que je l’ouvris, la page sur laquelle je m’étais tant appliquée
était couverte de taches d’encre. C’était tellement méchant que je me mis à
pleurer. Marie, près de moi, devant l’état de mon cahier, poussa un cri d’horreur :
    — Ooooh !…
    La maîtresse, assise à son bureau, attirée par le cri de
Marie, leva la tête et vit mes larmes. Elle s’inquiéta :
    — Eh bien ! Que se passe-t-il ?
    — Oh, Madame, s’exclama Marie, et sa voix vibrait,
éclatait d’une indignation qu’elle ne cherchait pas à retenir. Regardez ce qu’elles
ont fait au cahier de Madeleine !
    La maîtresse se leva, vint jusqu’à nous. Lorsqu’elle vit mon
cahier, elle eut le même cri d’horreur que Marie.
    — Qui a fait ça ? demanda-t-elle, de la voix
que nous savions reconnaître lorsqu’elle était en colère.
    Je pleurais, et ne sus pas répondre. Je ne sais pas si j’aurais
parlé, mais Marie répliqua vivement :
    — C’est Clotilde et Lucienne, Madame. Elles
ennuient toujours Madeleine.
    — Elles t’ennuient, Madeleine ? me demanda
la maîtresse.
    Pleurant toujours, je ne pus que hocher la tête.
    — Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?
    Je ne répondis pas. Ce fut Marie, encore, qui dit pour moi :
    — Elle ne veut pas le dire, Madame, mais moi je l’ai
bien vu. Elles la bousculent dans la cour, elles la

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