La Poussière Des Corons
été
là.
Je la regardais en souriant avec indulgence. Elle saurait, bien
mieux que moi, soutenir Jean lorsqu’il y aurait des problèmes. Elle n’avait
peur de rien, elle était prête à se lancer partout, sûre de son bon droit.
À Charles, je racontai tout. Aussitôt ses yeux, graves et
compréhensifs, se chargèrent d’inquiétude :
— Madeleine, dit-il, ma chérie ! Tu as dû
avoir très peur ?
A lui, je pouvais l’avouer. Il me serra contre lui, soupira :
— Je n’approuve pas cette violence. Elle ne
résoudra pas les problèmes.
Ses paroles ressemblaient à celles du mineur que j’avais vu
alors que, de son corps, il faisait un rempart pour protéger un adversaire, un C.R.S.
blessé. Pourquoi cet avis n’était-il pas celui de tous ?…
Le samedi, comme toutes les semaines, Jean revint, et lui
aussi s’inquiéta, lorsqu’il sut.
Il me prit contre lui, et ma tête arrivait au niveau de son
épaule. Je compris que pour lui j’étais petite et fragile, et une grande
douceur me vint quand je me dis que je lui étais précieuse, parce qu’il m’aimait.
Le dimanche qui suivit, Anna et Georges, avec leurs enfants,
vinrent dîner chez nous. Jean et Marcelle étaient là. Les hommes se mirent à
parler de la grève. Pendant que je faisais la vaisselle avec Anna, je regardais
Marcelle qui jouait avec les enfants, Paul et Bernard. Ils avaient un jeu de
cubes, et faisaient chacun une pyramide, en empilant les cubes les uns sur les
autres. Celui qui réussissait la plus haute pyramide sans faire tomber les
cubes avait gagné. Marcelle, avec patience, aidait Bernard, qui n’avait que
trois ans et était encore malhabile, à bien placer ses cubes. J’observais sa
douceur, sa gentillesse envers le petit garçon. Je me disais qu’elle ferait une
bonne mère pour les enfants de mon fils.
Les hommes étaient en pleine discussion. Georges parlait de
sa décision de reprendre le travail :
— Chaque jour le nombre des mineurs qui
descendent augmente. Il faut admettre que c’est trop long, cette grève. Après
sept semaines, qu’avons-nous obtenu ? Rien, à part des bagarres, qui nous
retombent dessus.
— Ça, dit Jean, c’est beaucoup à cause des C.R.S.
et de la troupe. Et s’ils n’avaient pas arrêté les piquets de grève, personne
ne pourrait reprendre le travail et nous serions plus forts. Tandis que là, si
certains recommencent à travailler, ça va démolir tous les efforts consentis
jusqu’ici.
— Mais, reprit Georges, ceux-là n’ont plus rien
pour vivre. Et combien de temps cela va-t-il encore durer ? J’ai deux
enfants, moi aussi, et si la semaine prochaine tout est encore au même point, je
redescends, comme eux. Je ne vais pas laisser mes enfants mourir de faim en
restant là les bras croisés, quand même !
Anna me confia :
— N’en parle à personne, Madeleine, mais Georges,
par moments, en a assez du métier de mineur. Il trouve que c’est trop dur, et
des périodes comme celle que l’on vit en ce moment le découragent.
— Mais, Anna, c’est la même chose pour tout le
monde !
— Je sais bien, mais c’est vrai que c’est dur, aussi.
Cette grève n’arrange pas les choses, tu ne peux pas dire le contraire. Il y a
des cas qui deviennent dramatiques. Hier, je suis allée porter un peu de soupe
à Lucie, ma voisine, car je sais qu’ils n’ont plus rien. Je l’ai trouvée en
train de pleurer, assise devant sa cuisinière vide faute de charbon et de
ravitaillement. Elle n’en pouvait plus. Elle ne supporte plus de voir ses
enfants se plaindre du froid, de la faim. Et ils sont six ! Son père, qui
vit avec eux, et qui est très vieux et malade, ne quitte plus son lit, pour
essayer d’avoir moins froid, et grelotte à longueur de journée… Sais-tu ce qu’elle
faisait, quand je suis arrivée ? Elle donnait à son bébé un biberon d’eau
sucrée parce qu’elle n’a plus de lait. Son mari a décidé de reprendre le
travail demain. Peut-on lui en vouloir, dis-moi ?
Je hochai la tête en silence. Oui, c’était vrai, la grève
durait trop.
Chaque jour plus nombreux, les mineurs reprirent le travail.
Les plus acharnés résistèrent encore une semaine, puis la reprise fut décidée
pour tous. La grève avait duré huit semaines, elle avait été longue et
douloureuse. Elle avait apporté la faim, la peur, la violence et les bagarres. Elle
avait blessé beaucoup d’entre nous, physiquement ou moralement.
Mais au moins les
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