La Poussière Des Corons
revins à la maison. Jean et Charles
étaient levés, à leur tour. J’avais tout préparé la veille, si bien que nous n’eûmes
pas à nous bousculer. Lorsque je vis Jean habillé de son costume sombre, plus
beau que jamais, mon cœur fondit. Il vit les larmes dans mes yeux, et me dit, affectueusement
bourru :
— Allons, maman ! Je ne veux pas te voir
pleurer aujourd’hui. Ce n’est pas un jour triste, bien au contraire !
Je souris derrière mes larmes. Je m’habillai, moi aussi, avec
soin. Quand l’heure arriva, nous sortîmes pour nous rendre au domicile de
Marcelle. Dans la rue, une grande partie des habitants du coron était
rassemblée pour assister au départ du cortège. Chez elle, Marcelle, revêtue de
la robe de mariée que je lui avais confectionnée, nous attendait. Une grande
effervescence régnait. Tous les invités étaient là. Il y avait beaucoup de
monde, et la maison de Robert et Catherine ressemblait à une immense ruche
bruissante.
En voyant Marcelle, Jean s’arrêta et la regarda, émerveillé.
Elle leva les yeux vers lui. Un long moment ils restèrent ainsi, les yeux dans
les yeux, sans parler, graves et émus, seuls au monde malgré les gens qui se
bousculaient autour d’eux.
Elle était si belle qu’elle en paraissait irréelle. Le voile
blanc, qui l’entourait d’un nuage de tulle, rendait ses cheveux plus dorés, son
teint plus rose, son regard plus brillant. Autour de son front, la
traditionnelle couronne de fleurs d’oranger. Elle venait à Jean intacte, et, en
la voyant si radieuse et si pure, je regrettai, une fois de plus, de ne pas
être venue ainsi à Charles. Jean continuait à la regarder avec un air d’adoration
et des yeux éblouis. Je soupirai. Bien sûr, il pouvait la vénérer, elle n’était
qu’à lui seul. Elle ne lui apportait pas, comme je l’avais fait pour Charles, l’enfant
d’un autre. Leur vie commençait sur de bien meilleures bases. Au moins, Marcelle
ne connaîtrait pas mes problèmes, dus à cette unique et lourde faute dont j’avais
toujours subi le poids.
Quand vint l’heure de partir, Jean et moi prîmes la tête du
cortège. J’étais émue, mon cœur battait très fort. Des deux côtés de la rue, les
habitants du coron nous regardaient passer. Les interpellations fusaient, des
cris, des félicitations, et même des réflexions égrillardes qui s’adressaient à
Jean. Celui-ci les accueillait avec un sourire amusé, sans répondre. Des
enfants faisaient éclater des pétards, en criant « Vif’ mariache ! »,
selon la coutume.
La cérémonie fut belle et émouvante. Lorsque j’entrai dans l’église
avec Jean à mon bras, je réalisai que c’était pour aller le donner à une autre.
Je dus respirer un bon coup, et j’avançai dans un monde brouillé par mes larmes.
Lorsqu’il me lâcha le bras pour aller se placer dans le chœur, à l’endroit où
Marcelle viendrait le rejoindre, j’eus la sensation d’un véritable arrachement.
Je gagnai ma place en tâtonnant, aveuglée par mes larmes qui maintenant
coulaient sur mes joues. J’aperçus, comme en rêve, le visage de Charles, tendu
par l’émotion. Je savais que Jean m’avait interdit de pleurer, mais c’était
plus fort que moi, je ne pouvais m’en empêcher. Je pleurai pendant toute la
messe. Et quand, à la fin, je les vis s’en aller vers la sortie, tous les deux
droits, jeunes et beaux, vers leur vie commune où je n’étais pas, je pleurai
encore plus.
La journée fut gaie, pourtant. Le repas se déroula dans une
chaude ambiance, entrecoupé de chansons et de danses. Je dansai avec Charles, et
il y avait si longtemps que cela ne m’était pas arrivé que je me sentais comme
intimidée.
— Tu es heureuse, Madeleine ? Il a épousé
une brave petite fille, non ?
Oui, elle était bonne et douce, la femme qu’il avait choisie,
et le plus important pour moi était qu’elle le rendît heureux.
Je dansai avec Robert, le père de Marcelle, avec Georges, et
aussi avec Jean. Il me serra contre lui, me regarda dans les yeux :
— Alors, ma petite maman, ça va mieux ? Tu
as osé pleurer, tout à l’heure, malgré ma défense ! Ne crois pas que je ne
t’ai pas vue ! Pourquoi m’as-tu désobéi, dis-moi ? Es-tu triste, parce
que je me marie ? J’espère bien que non !
Je secouai la tête en souriant, sans répondre. Je ne voulais
pas être égoïste. Pourtant, comme il m’était dur, après tant d’années pendant
lesquelles je
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