La Poussière Des Corons
les
manifestations, qui, jusque-là, ne la touchaient pas directement, avaient valu
à son mari d’être blessé.
— Est-ce grave ? demandai-je.
— Non, heureusement. Il a reçu plusieurs coups
sur la tête. Il a dû rester couché plusieurs jours. Maintenant, il va mieux. Mais
je crois qu’il a été traumatisé. Il n’aurait jamais cru que ses propres mineurs
puissent se retourner contre lui.
— Ils ne sont plus eux-mêmes, Juliette ! Leurs
revendications sont refusées, ils ont l’impression que leur grève devient
inutile. De plus, la présence des forces de l’ordre n’arrange rien. Alors, il
suffit de très peu de chose pour les rendre furieux.
Elle soupira, ne répondit pas. Je savais que, comme moi, elle
se demandait comment tout cela finirait. Nous étions arrivées à un carrefour. Elle
s’arrêta :
— Il y a encore cette rue à traverser, et nous y
sommes.
Nous nous dirigions vers le carrefour lorsque, en tournant
le coin de la rue, nous fûmes rejointes par des groupes de mineurs qui allaient
dans la même direction.
— Passons le plus vite possible, dit Juliette, nous
prendrons la première rue à gauche.
Les mineurs remontaient la rue vers la place que j’apercevais
tout au bout. D’instant en instant, ils devenaient plus nombreux. Ils criaient :
— Tous à la sous-préfecture ! Pour la
libération de nos camarades prisonniers !
Juliette me serrait le bras. Je vis sur son visage l’appréhension
que je ressentais moi-même. Nous allions dans le même sens que les manifestants,
et il y en avait, autour de nous, de plus en plus. Nous étions entraînées par
le flot. Vainement Juliette essayait de bifurquer vers la gauche. Il nous était
impossible de nous dégager. Sans pouvoir résister, nous nous sommes retrouvées
sur la place, au milieu de toute une masse de mineurs farouchement résolus à
obtenir satisfaction.
Nous nous serrions l’une-contre l’autre. Je vis quelques
rares femmes qui manifestaient aux côtés de leurs maris. Soudain se produisit
une bousculade. Je me sentis brutalement poussée vers l’avant. Je m’accrochai à
Juliette. Entraînées une fois de plus par la masse, nous ne pouvions que nous
laisser emporter. Je voyais autour de moi des visages tendus, résolus, je
sentais la foule me forcer à avancer. L’affolement me gagnait, je regardais
autour de moi comme une bête prise au piège, et je ne voyais aucune issue. Il y
eut, à l’avant, loin devant nous, des cris. Puis un nouveau remous, et une
nouvelle bousculade. Une rumeur parcourut les rangs, parvint jusqu’à nous. J’entendis
les mots : le sous-préfet, au palais de justice. J’interrogeai quelqu’un, près
de moi. Il haussa les épaules, il ne savait rien, lui non plus. Un autre, devant,
qui avait entendu ma question, se retourna et expliqua :
— Ils conduisent le sous-préfet au palais de
justice ; il a repoussé nos revendications, au sujet de nos camarades
prisonniers.
Inévitablement, nous allions dans la même direction. J’échangeai
avec Juliette un regard chargé d’angoisse et d’impuissance. La foule, autour de
nous, se faisait de plus en plus compacte. Je sentis un sanglot de terreur me
monter dans la gorge lorsque je vis, là-bas, devant l’immeuble où arrivaient
les premiers manifestants, les casques de nombreux C.R.S. Nous étions tous
arrêtés maintenant devant le palais de justice. Sur le moment, je n’ai pas
compris ce qui a déclenché la bagarre. Je ne l’ai su qu’après. Les C.R.S. avaient
demandé aux mineurs de libérer le sous-préfet, et ceux-ci refusèrent. Alors les
C.R.S. foncèrent dans la foule.
A l’arrière, nous eûmes d’abord conscience d’une grande
bousculade. Je reçus des coups de coude, ceux qui étaient devant moi reculèrent
en me marchant sur les pieds. Et puis j’aperçus les C.R.S. qui, brutalement, entraient
dans la foule. Ce fut une mêlée confuse. Il y eut un mouvement de reflux. Certains
essayèrent de faire demi-tour et de s’enfuir, d’autres au contraire se
portèrent en avant pour empêcher les C.R.S. d’avancer. Nous fûmes bousculées, violemment
heurtées de tous les côtés. Un coup plus brutal que les autres faillit me faire
tomber, et je fus séparée de Juliette. J’essayai de me raccrocher à elle, mais
une masse de mineurs qui fonçaient vers l’avant me repoussa encore plus loin. J’étais
ballottée d’un côté, puis de l’autre, je recevais des coups de coude, des coups
de pied.
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