La Poussière Des Corons
un coin de mon cœur, une place pour eux, pour
leur gentillesse, leur talent, leur don pour émouvoir et faire rire le public. Je
ne les ai jamais oubliés. Et je ne fus pas la seule. Dans toute la région, ils
étaient énormément appréciés, et très aimés.
A la fin du mois de juin, Anna mit au monde la fille qu’elle
souhaitait. Une fois de plus, j’allai l’aider. Le bébé était adorable, une
véritable poupée. Elle était toute petite, mais faite à la perfection. Un léger
et doux duvet blond couvrait sa tête, et ses petites mains fines avaient des
ongles roses. Dès que je la vis, je l’aimai. Elle n’était pas bruyante comme l’avaient
été ses frères à leur naissance. Elle reposait dans le berceau, sage.
Les deux garçons, Paul et Bernard, qui avaient neuf et
quatre ans, se tenaient de chaque côté du berceau, et la regardaient avec un
réel émerveillement. Je leur demandai :
— Vous êtes contents d’avoir une petite sœur ?
— Oh oui ! me répondirent-ils avec une
ferveur et une gravité qui me firent sourire.
Anna, en souriant elle aussi, déclara :
— Je crois qu’elle ne tardera pas à les mener par
le bout du nez !
Georges était fou de sa fille. Il tint à l’appeler
Marie-Jeanne, en souvenir de sa mère et de sa sœur. Son meilleur ami, Alexandre,
mineur de fond lui aussi, fut le parrain, et ils demandèrent à Marcelle d’être
marraine. Bien entendu, elle fut ravie.
— Quelle jolie petite fille ! me disait-elle.
J’aimerais bien en avoir une semblable, plus tard !
Intérieurement, je la remerciai pour ses paroles. Elles
venaient de me faire comprendre que, cette petite fille que je n’avais pas eue,
Jean pourrait me la donner.
Les jours passèrent ensuite très rapidement. La date du
mariage approchait, et il fallait tout prévoir, tout organiser. Charles et Jean
s’achetèrent un costume ; je me fis une nouvelle robe. Nous avons
entièrement repeint et retapissé la maison ; le repas de noces aurait lieu
chez nous. Je dus aussi m’acheter un sac, des gants, des chaussures et un
chapeau. Je voulais être belle et élégante pour conduire mon fils à l’autel. J’étais
heureuse de le voir se marier, surtout avec Marcelle qui était une bonne, petite
fille, mais en même temps une nostalgie m’étreignait le cœur, qui me disait que
rien, ensuite, ne serait plus jamais pareil.
Jean termina ses études et reçut son diplôme d’ingénieur. Comme
nous fûmes heureux, Charles et moi ! Je revois encore la fierté qui
brillait dans les yeux clairs de Charles lorsqu’il le félicita :
— Mon grand, lui dit-il, je suis fier de toi !
Jean, lui, était surtout satisfait :
— Maintenant, je vais enfin pouvoir m’occuper
activement de tous les problèmes concernant les mineurs.
J’espérais que son enthousiasme ne serait pas refroidi.
Il s’attaquait, me semblait-il, à une tâche ardue et
difficile. Je souhaitais de toutes mes forces qu’il réussît.
Le mois de juillet passa très vite, parmi les préparatifs. Un
dimanche, nous sommes allés voir Juliette, tous ensemble, afin de l’inviter au
mariage. Elle nous accueillit avec joie et nous promit de venir, avec Bertrand
et Germain. Elle me dit, confidentiellement :
— Jean a bien choisi. Elle semble être une brave
petite, et en plus, elle paraît l’aimer beaucoup.
Puis ce fut le mois d’août. J’étais consciente de vivre les
derniers jours avec mon fils. Plus le temps passait, plus je souffrais de me
dire que, bientôt, il ne serait plus là.
Le matin du mariage arriva. Comme l’avait souhaité Marcelle,
il faisait un soleil radieux. Réveillée très tôt, je sortis dans la lumière
blonde de l’aurore. Là-bas, à l’horizon, une brume dorée s’étendait sur les
champs. Au-dessus de moi, dans le ciel déjà tout bleu, une alouette montait en
chantant. Une onde de gratitude et de joie gonfla mon cœur : c’était
aujourd’hui le mariage de mon enfant, et la Nature elle-même était en fête.
Je suis allée, dans le matin ensoleillé, mettre des fleurs
sur la tombe de ma mère, et sur celle de mes beaux-parents qui était aussi
celle de mon amie Marie et de son frère Julien. Je regrettais qu’ils ne fussent
plus avec nous, mais aucune amertume ne se mêlait à mes regrets. J’éprouvais l’étrange
certitude que, là où ils étaient, ils nous voyaient, et c’était leur amour que
je ressentais dans la chaleur du soleil.
Sereine et heureuse, je
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