La Poussière Des Corons
coups. Je me lavai le
visage et les mains. Ensuite Juliette fit chauffer de l’eau :
— Tu trembles encore. Je vais te faire une
infusion de tilleul, ça te calmera.
Nous avons bu, toutes les deux, une tasse de tilleul bien
chaude et bien sucrée. Cela me fit du bien, et mon tremblement s’atténua. Il ne
disparut pas complètement, pourtant. Il resta intérieur, et s’il ne se
remarquait plus, moi je le sentais encore.
Juliette me regarda avec affection :
— Ça va mieux ? Tu as les joues un peu plus
roses.
Elle s’arrêta un instant, reprit :
— Ça t’étonne si je ne dors plus ? Nous
sommes mal placés, ici : au centre de toutes les manifestations, de toutes
les bagarres. Et depuis que Bertrand a été blessé, j’ai peur chaque jour… Viens,
allons le voir.
Je la suivis au salon. Son mari était là, dans un fauteuil, le
front bandé. Il se leva pour m’accueillir. Je remarquai, dans ses yeux, une
sorte de hantise que je ne comprenais que trop bien. Germain, à côté, avait un
air malheureux. Son attitude, le regard qu’il posait sur Bertrand, disaient
clairement qu’il ne comprenait pas comment on avait pu s’en prendre à son père.
Avec l’intransigeance de la jeunesse, il en voulait aux mineurs qui étaient
responsables, et, de là, à tous les mineurs. Et ses yeux, quand il me regardait,
étaient pleins d’un reproche inavoué.
Nous avons parlé, et Juliette, résolument, a écarté le
brûlant sujet de la grève et de ses conséquences. Elle m’interrogea sur Jean, sur
Marcelle, sur leur prochain mariage. Elle exigea des détails, me demanda si j’étais
satisfaite.
— J’espère, me dit-elle, que je le verrai bientôt,
avec sa fiancée.
— Oui, assurai-je, ils viendront te voir.
Elle me parla aussi de Germain, qui avait l’ambition de
devenir médecin. Il ne voulait pas entendre parler de mine, de charbon, et
encore moins de mineurs. Il se refusait à faire le métier de son père, et, depuis
que celui-ci avait été blessé, c’était pis encore.
— Il faut le comprendre, disait Juliette, pour l’excuser.
Oui, bien sûr, je le comprenais. Mais, d’un autre côté, ce n’était
pas en fuyant que les problèmes seraient pour autant résolus. Je ne disais rien,
mais je préférais de loin, à la réaction de Germain, celle de Jean qui
affrontait les difficultés et se tenait aux côtés des mineurs dans les moments
de crise, au lieu de se diriger vers un autre métier.
Il fut bientôt l’heure de mon train. Juliette, chaleureusement,
m’embrassa :
— Je suis contente que tu sois venue. Bavarder
avec toi m’a fait beaucoup de bien. Quand cette grève sera finie, il faudra que
tu viennes plus souvent. Et moi, j’irai aussi te voir de temps en temps.
A moi aussi, notre conversation avait été bénéfique. C’était
si reposant de parler et d’entendre parler d’autres choses que de la grève, des
difficultés, des manifestations, des affrontements.
Nous nous sommes quittées sur la promesse de nous revoir
souvent. Germain vint m’accompagner jusqu’à la gare ; seule, j’aurais été
bien incapable de retrouver mon chemin. Dans les rues, le calme était revenu ;
il n’y avait plus un seul mineur. La troupe et les policiers occupaient
plusieurs artères de la ville, mais, heureusement, nous ne les avons vus que de
loin.
Germain m’accompagna jusqu’au train. Je l’embrassai
affectueusement. J’aurais voulu effacer l’ombre qui, par instants, voilait son
regard. Après tout, il était le cousin de mon fils. Mais il était fait, comme
Juliette et Henri, pour l’insouciance et non pour les difficultés. Il n’était
pas préparé à une vie dure ; il n’avait pas derrière lui, comme Jean, comme
moi, toute une lignée d’ancêtres qui, à force de sueur, de sang et de larmes, avaient
réussi à survivre.
Je me retrouvai chez moi avec plaisir. Plus d’une voisine, dans
le coron, en voyant mes bas arrachés et salis, ma veste déchirée, m’interrogea.
Lorsque j’eus expliqué ce qui m’était arrivé, je fis aussitôt figure d’héroïne.
Elles voulurent toutes connaître ce qui s’était passé, et je voyais, dans leurs
yeux, un mélange d’admiration et d’envie. La plupart auraient bien voulu se
trouver à ma place. Et moi, je me disais : si elles savaient ! Si
elles pouvaient savoir combien moi, au contraire, j’aurais mieux aimé rester
chez moi !
Marcelle exprima ouvertement son regret de n’avoir pas
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