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La Poussière Des Corons

La Poussière Des Corons

Titel: La Poussière Des Corons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie-Paul Armand
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Je faillis perdre mon sac. Et je ne voyais plus Juliette.
    Les C.R.S. se mêlaient aux manifestants. Horrifiée, je m’aperçus
qu’ils se battaient sauvagement. Des mineurs, matraqués, avaient le visage en
sang. J’éprouvai une sensation de terreur animale. Je voulais m’enfuir, et je
ne pouvais pas, entourée de cette foule où régnait une violence qui me
paralysait d’horreur. J’étais au centre d’un cauchemar vivant. Je fus une fois
de plus déportée vers la droite, et me trouvai près d’un mur. À quelques pas, un
C.R.S., désarmé, faisait face, impuissant, à plusieurs mineurs qui se mirent à
le matraquer sans pitié, avec une violence féroce. D’autres manifestants, alors,
repoussèrent leurs camarades, et firent, de leur corps, un rempart pour
protéger le C.R.S. qui, blessé, avait, lui aussi, le visage en sang.
    — Laissez-le-nous, crièrent les plus acharnés, il
paiera pour les autres !
    — Reculez, allez-vous-en ! leur dit un
mineur plus âgé. N’avez-vous pas honte de vous, acharner sur un homme sans
défense ? Ce n’est pas cela que nous voulons, la violence n’amènera rien
de bon !
    Malade d’horreur et de dégoût, je me détournai. Des animaux
féroces, voilà ce qu’ils étaient devenus, tous. Comment peuvent-ils en arriver
là ?
    Plus loin, la bataille se poursuivait toujours. Des blessés,
aussi bien parmi les mineurs que parmi les C.R.S., gisaient sur le sol. Je vis
un policier tituber et tomber lourdement, mains en avant. J’aurais voulu me
boucher les oreilles pour ne plus entendre les cris, fermer les yeux pour ne
plus voir les hommes se battre. Je réussis, en longeant le mur, à m’éloigner de
la place. Devant moi, un jeune mineur, qui pouvait avoir dix-huit ou vingt ans,
était emmené par ses parents qui le soutenaient et l’aidaient à marcher. Il
avait été blessé et pleurait bruyamment. Du sang coulait dans son cou, d’une
plaie au cuir chevelu, et ses plaintes me faisaient mal.
    Je dus m’arrêter et m’appuyer contre un mur. Je sentis que
tout tournait autour de moi. J’eus peur de m’évanouir. Je serrai les dents et
fis un effort pour me remettre à marcher. À ce moment, j’entendis mon nom :
    — Madeleine ! Madeleine !
    Je me retournai. Juliette accourait vers moi, les cheveux
dans les yeux, une manche de sa veste arrachée. Je réalisai que mon aspect ne
devait pas être plus engageant.
    — Madeleine, me dit-elle, je te cherchais partout !
C’est affreux, n’est-ce pas ?
    Elle me prit contre elle, et je me rendis compte que je
tremblais sans pouvoir me dominer.
    — Viens, allons chez moi.
    Incapable de m’arrêter de trembler, je la laissai m’entraîner.
     
    Comme une somnambule, je la suivis jusque chez elle. À la
porte, Germain nous attendait, le visage inquiet. Il se précipita à notre
rencontre :
    — Vous voilà enfin ! Je me demandais… Mon
Dieu, que vous est-il arrivé ?
    — Nous avons été prises dans la manifestation, dit
Juliette. Entrons vite ! Germain, va tenir compagnie à ton père. Nous
allons essayer de nous rendre un peu plus présentables.
    Elle m’emmena dans la cuisine, où je me laissai tomber sur
une chaise.
    — Si j’avais pu prévoir, je ne t’aurais pas
demandé de venir !
    Je frissonnais encore nerveusement, je serrais mes mains
pour essayer d’arrêter leur tremblement.
    — Tu n’es pas responsable. C’est que… vois-tu, la
violence me fait peur. J’ai été marquée par une scène semblable, lorsque j’avais
six ans, et je ne l’ai jamais oubliée…
    — Je sais bien, c’est horrible ! C’est dans
une manifestation identique que Bertrand a été blessé. Lui aussi, ça l’a marqué
profondément.
    Tout en parlant, elle enleva sa veste :
    — Elle est toute déchirée. Enlève la tienne, elle
est déchirée aussi !
    J’ôtai ma veste et vis, sur mon coude, à l’endroit où le
tissu avait été arraché, une trace de sang séché.
    — Mon Dieu, dit Juliette, tu es blessée ?
    Je regardai, avec une sorte d’hébétude, le sang sur mon bras.
Je me souvenais, j’avais été projetée contre le mur, et mon coude l’avait
heurté violemment.
    — Attends, je vais te panser.
    Délicatement, elle nettoya le sang. Il y avait une large
éraflure, que j’ai gardée longtemps par la suite. Juliette me mit un pansement,
brossa ma veste, me tendit un peigne pour me recoiffer. Mes bas aussi étaient
déchirés, et mes pieds portaient la trace de nombreux

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