La Poussière Des Corons
décrets Lacoste ne furent pas appliqués.
3
VINT le mois de décembre, vint Noël. Nous avons passé un
réveillon heureux et paisible, en famille. Cette année, Marcelle était avec
nous, ainsi que ses parents. Elle était assise près de Jean, et la façon dont
ils se regardaient, dont ils se souriaient, prouvait à elle seule combien ils s’aimaient.
Après le repas, Anna nous annonça, en rougissant, qu’elle
attendait un troisième enfant, pour le mois de juin. Tout le monde les félicita
chaleureusement, elle et Georges.
— Ça s’arrose ! dit Charles, en sortant la
bouteille des grandes occasions.
Anna me chuchota, en confidence :
— J’aimerais bien une fille, cette fois-ci. Après
mes deux diables de garçons, elle serait la bienvenue.
Je la comprenais. J’espérais, pour elle, que son vœu
deviendrait réalité. Moi aussi, j’avais rêvé autrefois d’une petite fille, à
Charles et à moi, qui n’était jamais venue. J’étais heureuse pour Anna, à qui
il était donné de réaliser un tel désir.
Le 1 er janvier, j’eus quarante-neuf ans. Charles,
lui, en avait cinquante et un et n’était plus qu’à quelques années de la
retraite. Peu à peu, nous vieillissions, et l’amour qui nous unissait, d’année
en année, se faisait plus solide, plus profond. Nous avions toujours été très
proches, et il nous suffisait d’échanger un simple regard pour deviner nos
pensées respectives. J’étais heureuse de l’avoir, mon Charles, je savais qu’il
m’aimait toujours autant, et pas une seule fois je n’avais regretté de l’avoir
épousé. Maintenant que Jean allait bientôt nous quitter pour se marier, j’aurais
davantage besoin de lui, de sa présence, de son amour.
Les mois passèrent. Jean terminait sa dernière année d’études,
Marcelle préparait son trousseau. Le mariage avait été fixé au mois d’août.
— C’est le mois le plus agréable, m’avait dit
Marcelle. Ce sera l’été, il fera beau. Et puis c’est l’époque où les enfants
sont en vacances. Et moi, je veux du soleil pour mon mariage, beaucoup de
soleil.
J’essayais de me souvenir. Avais-je eu du soleil, moi, pour
mon mariage ? Je ne savais plus. J’avais dû me marier au mois de novembre,
et il faisait déjà froid. Même si je n’avais pas eu de soleil ce jour-là, cela
n’avait pas empêché mon mariage d’être heureux, et c’est ce que je dis à
Marcelle. Mais elle resta butée sur son idée, comme une enfant :
— Je veux un soleil radieux, disait-elle. Et elle
ajoutait, en riant : – S’il n’y a pas de soleil, je ne me marie pas !
Je souriais de sa jeunesse, de son enthousiasme. Plus les
jours passaient, plus elle devenait fébrile.
— Je n’arrive pas à réaliser, me confiait-elle, que
je vais vraiment épouser Jean. Je crois que je ne réaliserai qu’après notre
mariage !
Elle acheta du tissu blanc, choisit le patron d’un modèle, et
m’apporta le tout :
— Tiens, Madeleine ! Mets ton talent de
couturière à mon service. C’est pour ma robe de mariée. Mais attention ! Que
Jean ne la voie pas, n’est-ce pas ?
Dans les flots de tissu blanc, je taillai, coupai, épinglai.
Elle venait très souvent pour le simple plaisir de me voir coudre, et d’essayer
la robe. Je la regardais avec tendresse. Elle rayonnait de bonheur, d’espoir, de
joie de vivre, d’impatience.
Au début de l’été, nous sommes allés voir une pièce de
Simons. Simons était, à l’époque, une célébrité parmi les gens du Nord. Il écrivait
des pièces, des sketches, le plus souvent humoristiques, qu’il jouait avec sa
partenaire, Line Dariel. Ils tenaient le rôle d’Alphonse et de Zulma, deux
époux absolument irrésistibles. Et ces pièces avaient une particularité qui, pour
nous, était savoureuse : elles étaient jouées dans notre patois du Nord, et
très bien jouées.
Je ne les avais jamais vus sur scène. Je les avais entendus
à la radio, j’avais lu les sketches ou les poèmes de Simons dans la revue Nord-France que nous recevions
chaque semaine. Ce soir-là, je les vis dans deux pièces qui s’appelaient Les carottes sont cuites et Zulma. Je fus conquise. C’était
joué avec tant de naturel et de drôlerie que je fus transportée. Toute la salle,
comme moi, était enthousiasmée. Charles et Jean, à mes côtés, riaient de bon
cœur. Nous avons passé, grâce à Alphonse et à Zulma, une soirée magnifique. Et
à partir de ce jour j’ai eu, dans
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